Yasmina Khadra : “L’homme doit arrêter de se prendre pour Dieu” [Algérie]
Auteur depuis plus de quarante ans, Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, utilise sa plume pour dépeindre la brutalité des conflits internationaux. Dans ses romans, il dresse souvent le portrait de femmes victimes de cette violence et vivant sous le joug des hommes. Il vient de publier un nouveau roman, Pour l’amour d’Elena, inspiré d’une histoire vraie.
Propos recueillis par Muriel Salle, Romane Guigue, Pierre-Yves Ginet et les adhérentes du Club Femmes ici et ailleurs
Publié dans Femmes ici et ailleurs #46, novembre-décembre 2021
Biographie express
Mohammed Moulessehoul est né en 1955 à Kenadsa, en Algérie. Amoureux des mots depuis toujours, il embrasse d’abord une carrière militaire, poussé par son père lui-même officier de l’Armée de libération nationale. Sous-lieutenant, officier puis commandant, il gravit les échelons avant de quitter l’armée en 2000 pour se consacrer pleinement à la littérature. Très vite, son talent d’écrivain est récompensé. Il reçoit de nombreux prix littéraires internationaux, entre autres le fonds international pour la promotion de la culture de l’Unesco en 1993. D’abord publié sous son propre nom, il adopte plusieurs pseudonymes avant de choisir définitivement celui qu’on lui connaît aujourd’hui, Yasmina Khadra, le nom de son épouse. Inspirés d’histoires vraies, ses romans ont été traduits dans plus de cinquante pays, adaptés au cinéma, au théâtre ou en bandes dessinées.

Vous avez déclaré à plusieurs reprises que “le malheur déploie sa patrie, là où la femme est bafouée.” Précisément, c’est autour de l’histoire d’une femme bafouée que s’organise votre dernier roman, Pour l’amour d’Elena. Comment est née cette histoire ?
Pour l’amour d’Elena est un livre qui m’a hanté pendant plus de vingt ans. J’ai résidé au Mexique et j’y ai rencontré Domingo, qui a inspiré le personnage de Diego dans mon livre. Ce Mexicain m’a raconté son histoire et elle m’a bouleversé. Il tenait une petite guinguette avec sa femme et sa fille sur les hauteurs de Tijuana, dans une zone désertique et sinistrée. Sa fille a disparu, enlevée par les réseaux de prostitution. Pour la sauver, Domingo a osé défier l’un des gangs les plus dangereux de Tijuana. Dès mon retour en France, en 2001, j’ai voulu écrire cette histoire. Mais mon éditeur préférait que je reste “dans mon Algérie”. Nombreuses sont les personnes qui pensent que nous sommes incapables de sortir des frontières de notre pays. Je me suis alors questionné sur ma légitimité : ma notoriété reposait-elle sur le malheur de mon pays ou sur mon talent ? J’ai voulu écrire sur ailleurs, je tenais vraiment à aller interroger le monde, savoir si j’étais capable de le convoquer, de le comprendre. Mon éditeur a refusé. Suite à cette expérience, j’ai écrit Les Hirondelles de Kaboul. À partir de ce succès, j’ai commencé à aller un peu partout dans le monde et il y a deux ou trois ans, j’ai repris mon histoire mexicaine.


Comment faites-vous pour écrire des histoires algériennes, mexicaines, afghanes, etc. ? Comment naissent vos livres ?