Vandana Shiva : D’une graine, faire un monde [Inde]
Vandana Shiva se mobilise depuis plus de quarante ans pour la préservation de la biodiversité, le respect des droits des petit·e·s paysan·ne·s et des femmes. Fédérant des énergies collectives, elle a remporté plusieurs batailles spectaculaires contre les géants de l’agro-industrie. Son arme ? La désobéissance créative et la confiance dans les forces de la vie.
Propos recueillis et traduits par Roberta Zambelli avec Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #29, janvier-février 2019

Biographie express
Née en 1952 à Dehra Dun, dans le nord de l’Inde, Vandana Shiva a fait des études en physique, puis obtient un doctorat en philosophie des sciences. Dans les années soixante-dix, elle milite avec le mouvement indien Chipko, mené par des femmes pour empêcher l’abattage des arbres. En 1991, elle fonde l’association Navdanya qui agit pour la conservation de la biodiversité, notamment au travers de banques de graines permettant de sauver plus de 3 000 variétés de riz indiennes. L’association accompagne également des paysan·ne·s dans la transition vers l’agroécologie. Elle organise ensuite à Bangalore une marche qui rassemble, en 1993, un demi-million de fermier·e·s contre le brevetage du vivant par les grands semenciers. La même année, elle reçoit le Right Livelihood Award, aussi appelé Prix Nobel alternatif. Elle obtient, en 2004, la fermeture de l’usine Coca-Cola du Kerala grâce à la mobilisation des femmes de la région. Épine dans le pied des principaux groupes internationaux de l’agrochimie et des biotechnologies agricoles, elle ne cesse de combattre la production et l’utilisation d’OGM et de pesticides.
Quelles sont les origines de votre engagement ?
Je suis devenue une activiste dans les années soixante-dix, avec le mouvement Chipko, formé par des femmes pour protéger notre forêt. J’ai appris la théorie quantique à l’université, mais l’intrépidité et l’écologie, c’est grâce à ces femmes qui ne sont jamais allées à l’école. Elles étaient, collectivement, des leaders. Elles m’ont aussi inculqué l’indépendance et la coopération : aucun besoin d’être en compétition, nous sommes plus fort·e·s quand nous collaborons !
Pourquoi la biodiversité est-elle si importante ?
Je suis née dans la forêt de l’Himalaya : la forêt m’a enseigné ma première leçon sur la diversité de la vie. La nature est variée, alors que les plantations commerciales sont des monocultures. Cette “monoculture de l’esprit” nous a amené au désastre de la révolution verte au Pendjab et à la catastrophe de Bhopal de 1984 (lire Femmes ici et ailleurs #9). J’ai lancé alors la campagne Let’s plant a Neem (“Plantons un margousier”) : le margousier est un arbre indien, qui est un pesticide naturel. Avec deux autres femmes, la présidente de la fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique (IFOAM) et celle qui était alors présidente du groupe des Verts au Parlement européen, nous nous sommes opposées pendant onze ans à une compagnie américaine qui voulait le breveter, avec l’appui du gouvernement des États-Unis. Cette compagnie n’a pas inventé les propriétés du margousier, ma grand-mère les connaissait déjà ! En 1987, j’ai commencé à conserver les graines, car les groupes Monsanto et Syngenta en voulaient le monopole pour créer des OGM et les vendre aux agriculteurs et agricultrices. J’ai travaillé sur les lois indiennes et aujourd’hui, notre pays n’autorise pas les brevets sur les semences. Toute ma vie a été un voyage dans la découverte de la richesse de la biodiversité. Le discours capitaliste détruit le monde, la biodiversité nous permet de savoir qu’il est vivant.