Témoignage : Du silence à la lumière
Paru dans Femmes ici et ailleurs #38, juillet-août 2020
À l’époque où nous nous sommes rencontré·e·s, je pensais que jamais quelqu’un comme lui ne pourrait s’intéresser à une femme comme moi. J’étais plutôt très peu sûre de moi et je rêvais d’une belle famille… J’ai eu des parents amoureux comme dans les contes de fées. À la recherche d’un amour identique au leur, je me suis sans doute perdue dans les illusions d’un beau parleur. Je ne savais pas que j’étais tombée sur un homme menteur et manipulateur et que, lorsque le masque allait tomber, j’allais me retrouver face à un mur.
Personne pour vous entendre, parce que vos douleurs, vos blessures et vos maux ne se voient pas, à part votre famille proche ou vos ami·e·s, enfin celles et ceux qui vous restent, car bien sûr, le vide a été fait autour de vous… Que pour répondre à vos accusations, le père de vos enfants est prêt à vous faire devenir folle au point que vous finissez par penser l’être.

J’ai eu la chance dans mon malheur de tomber sur de bonnes personnes qui m’ont fait comprendre que la peur qu’il avait installée en moi n’était pas de l’amour, que le mépris et l’ignorance n’étaient pas de l’amour, le harcèlement et les menaces de mort non plus… J’étais juste sa chose.
La justice ne m’a pas été d’un grand secours, j’ai d’abord perdu la garde de mes enfants, ma première avocate n’a pris aucun témoignage, aucune attestation pour prouver que j’étais une bonne mère. Et à chaque mot que je lisais du jugement, je sentais ma vie, mon cœur de maman s’éloigner un peu plus de mon corps, de mon âme. Malgré tout l’amour que me manifestait mon entourage, qui a su me réconforter, ma force, au fil des années, me quittait. Après avoir trouvé une autre avocate, j’ai fini par obtenir la garde alternée (ce n’est que quatre ans après que j’obtiendrai la garde exclusive).
C’est une première victoire, mais financièrement, je ne m’en sors pas. Je me rends au centre médico-social où j’explique mon cas. Une éducatrice, sensibilisée à la problématique des victimes de violences, m’écoute et note sur un papier : ”Emprise, manipulations, victime”. Cette rencontre me sauve. Je comprends que j’étais une victime. En participant à un groupe de parole, je me rends compte que les sentiments d’injustice, de honte et de colère étaient devenus mon moteur et me gâchaient la vie. Je vivais tête basse, persuadée de la vérité des insultes de mon ex-mari.
Un jour, je prends la plume et fais de l’écriture mon arme. Je pose des mots sur mes maux et peu à peu ma colère s’efface, mes textes font couler des larmes. Je crée une page sur Facebook, quelques personnes y trouvent du réconfort, elles deviennent mon armée d’espoir.
C’est décidé : je souhaite alors aider celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de trouver une main tendue sur leur chemin. Je ne m’intéresse qu’aux côtés positifs des personnes, des situations. Et tout s’enchaîne, je suis sollicitée pour témoigner lors d’une journée sur la lutte contre les violences faites aux femmes, j’accepte. On me propose d’être personne ressource dans la commission des violences intrafamiliales de mon agglomération, j’accepte. On me demande si je veux être sur la liste électorale du maire sortant de ma commune, j’accepte.
La vie aura mis sur mon chemin des embûches. J’ai même cru que j’avais tout perdu, jusqu’à ma dignité. Mais je me suis battue, contre la colère, contre l’injustice, contre la peur, contre la solitude, contre celui qui m’a tant brisée. Je n’ai rien lâché. J’ai appris, j’ai grandi, je n’ai pas oublié et, malgré tout, j’ai avancé. De ces brisures sont nées de belles perspectives qui ne ressemblent qu’à moi. J’ai retrouvé l’amour. Un amour sans condition, un amour vrai et sincère, sans cris, sans pleurs, sans insultes, sans menaces, sans mal. Un amour que je porte aujourd’hui depuis six mois et qui donnera naissance à de très beaux espoirs en la vie. Rien n’est jamais facile, mais tout est possible. Lorsqu’une porte se ferme, c’est simplement pour pouvoir en ouvrir une nouvelle, ce que je n’ai de cesse de faire, encore et encore.
Je ne veux plus mettre de barrières à celle que je veux être ! Je ne veux plus être dans l’ombre. Je veux croire en moi. Je veux croire que je peux faire du bien. Mes rencontres me donnent chaque jour l’envie de travailler avec passion, bienveillance et de partager avec le plus grand nombre cette lumière qui m’anime enfin. Ma place est là. Aujourd’hui je vis tête haute, fière, émue de ce que je peux entreprendre.
Marjorie Ciry