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Témoignage : Diagnostiquée Asperger à cinquante-sept ans

Paru dans Femmes ici et ailleurs #39, septembre-octobre 2020

C’est à l’âge de cinquante-sept ans que j’ai eu mon diagnostic du syndrome d’Asperger, facette célèbre mais très méconnue du spectre autistique.

Mon parcours professionnel, dans l’administration des entreprises, a été jonché de paradoxes. Je n’étais jamais là où l’on m’attendait. Pourquoi fallait-il m’expliquer plusieurs fois sans succès un organigramme, dans lequel j’étais incapable de me repérer ? Que ce soit pour des missions classiques, ou pour des missions à haute valeur ajoutée, à chaque fois, j’étais ”trop” ou ”pas assez” ou ”pas tout à fait”, même quand ce que je faisais était ”génial… Mais comment tu as réussi ?

Les signes d’insatisfaction que je parvenais parfois à déceler chez mes collègues me mettaient dans un état d’anxiété constant.  Quand je croyais avoir réussi, j’apprenais que mes résultats  étaient très éloignés, voire à l’opposé de ceux attendus. J’ai compris plus tard que tout pouvait se mélanger dans ma tête : sans m’en rendre compte, je faisais sans cesse des liens entre tout et tout, et j’en arrivais à interpréter les choses selon ma propre logique.

J’ai pu quitter le monde de l’entreprise pour devenir coach. Libre de mener ma vie professionnelle comme je l’entendais, ”sans dieu ni maître” ! Et enfin, mon mode de pensée était totalement adapté à ce métier !

Judith Sitruk – Conférencière professionnelle 

À l’âge de cinquante ans, je me suis intéressée de près aux personnes à l’intelligence atypique, celles et ceux qui apparaissent ”décalé·e·s”, ”à côté de la plaque” : hauts potentiels avec ou sans syndrome d’Asperger, femmes et hommes atteint·e·s d’autres troubles autistiques, ainsi que les bipolaires et les schizophrènes dont la maladie est stabilisée. Un point commun à tou·te·s : la place primordiale du travail rémunéré en tant que vecteur d’appartenance et d’utilité vraie dans la société.  

Au fil du temps, j’ai construit ma mission de traductrice entre  ce monde de la neurodiversité et celui de l’entreprise. La France,  à l’époque, affichait plusieurs dizaines d’années de retard et tout était à inventer. J’ai élaboré des procédures d’accompagnement sur la base de mon expérience professionnelle et de mes intuitions. Curieusement, je réussissais vraiment bien à accompagner les ”Aspies”, les personnes porteuses du syndrome d’Asperger. J’avais l’impression de les comprendre naturellement… Sans jamais imaginer que je pouvais en faire partie moi-même !

J’ai découvert qu’il y a au moins autant de femmes porteuses du syndrome d’Asperger que d’hommes et que cette différence est bien plus sournoisement invisible chez les femmes, ce qui complique d’autant plus leur vie dans l’entreprise.

Femmes et hommes, filles et garçons, n’expriment en effet pas de la même manière ce syndrome. Ce qui finit de brouiller les pistes est que certaines femmes en développent un modèle considéré comme ”masculin” et des hommes une version ”féminine”.

J’ai eu la chance d’être diagnostiquée, même tardivement, alors que de nombreuses personnes ne le sont jamais et peuvent se heurter à de grandes difficultés, sans en comprendre la cause.

Je suis maintenant intégrée à un service de réhabilitation psychosociale en tant que job-coach, et, par ailleurs, j’accompagne des personnes à la demande de grandes ou petites entreprises qui veulent évoluer dans la compréhension de ces intelligences atypiques de leurs employé·e·s ou futur·e·s employé·e·s. Pour ce faire, j’accompagne le système employé·e/entreprise pendant un temps variable selon les besoins des un·e·s et des autres : nous travaillons ensemble sur une adaptation des postes et des missions ainsi que sur une communication réciproque optimale, factuelle et bienveillante, permettant aux atypiques d’exprimer toutes leurs compétences. Mon rôle de traductrice se fait ainsi dans les deux sens, de l’entreprise vers la personne et inversement.

Par exemple, j’accompagne une jeune femme qui, une fois diagnostiquée Asperger, a passé des concours pour occuper une fonction de cadre supérieure. Malgré une puissante capacité d’apprentissage dans des domaines difficiles, ses relations professionnelles étaient très compliquées. Ma mission principale a été de l’amener à supporter la frustration due au décalage entre le monde idéal tel qu’elle l’exigeait, et le monde professionnel réel. Peu à peu, elle n’a plus vécu comme une souffrance intense le fait de ne pas avoir de réponses instantanées à ses mails. Par ailleurs, j’ai explicité ce principe de fonctionnement en ”blanc ou noir”, qui est parfois celui d’un·e employé·e atypique, à ses collègues et managers. Tous et toutes ont fini par avancer ensemble : les second·e·s en étant plus attentif·ve·s à lui envoyer au moins une réponse d’attente, et cette salariée en acceptant mieux les délais de réponse ainsi que le principe des relances.

Ce que j’aime le plus dans mon métier ? C’est l’immense sentiment de soulagement exprimé par la personne accompagnée quand elle comprend que nous parlons la même langue et qu’elle ne devra pas s’épuiser à m’expliquer quelque chose qu’elle a du mal à comprendre elle-même.

Et je vous invite vraiment à rechercher le diagnostic, même si vous ne le divulguez jamais : c’est un élément incroyablement puissant pour se comprendre et vivre en paix avec soi-même. Et je peux vous assurer que cela fait un bien fou !

Judith Sitruk