Témoignage : Ce qui m’a marquée en France
Paru dans Femmes ici et ailleurs #40, novembre-décembre 2020
Vivre en France est un choix actif que j’ai fait avec mon conjoint, lui aussi Danois. Des grand·e·s romantiques que nous sommes, fasciné·e·s par la beauté de la langue et la culture françaises, ainsi que des rencontres de Français·es tellement inspirant·e·s, nous ont conduit·e·s à nous installer en France.
Ça m’a beaucoup marquée, le jour où j’ai appris que le mot Homme avec un grand H signifie à la fois les hommes et les femmes.
Ça m’a beaucoup marquée, le jour où j’ai appris que les femmes françaises n’ont eu le droit de vote qu’après la Seconde Guerre mondiale, alors que moi-même en tant que jeune étudiante à Copenhague en 2000, j’ai participé à la célébration des quatre-vingt-cinq ans du droit de vote pour les femmes au Danemark.
Ça m’a beaucoup marquée, le jour où j’ai appris par une jeune libraire française que mon livre préféré pour enfants, Fifi Brindacier, écrit par Astrid Lindgren (l’une de mes autrices favorites grâce à ses idées si visionnaires concernant l’éducation des enfants) a été censuré partiellement dans la traduction française, lors de sa parution en 1945.
Ça m’a beaucoup marquée, le jour où j’ai visité le jardin de Versailles et me suis aperçue comment le roi Louis XIV a cherché à maîtriser et contrôler la nature pour se mettre comme un soleil au centre du monde !

Dans ma vie professionnelle en France, j’ai travaillé quinze ans avec des enfants dans des écoles et dans des crèches. Le manque de place accordée à la nature et le peu de possibilités pour les enfants de vivre des expériences sensorielles à l’extérieur m’ont incitée à prendre contact avec un centre de formation pour les professionnel·le·s de la petite enfance, à Lyon. J’ai proposé d’organiser des séjours d’études à Copenhague avec elles et eux, en espérant pouvoir bouger la mentalité française en leur présentant les pratiques éducatives du Danemark. De nombreuses recherches prouvent que jouer librement dehors dans un milieu naturel renforce le système immunitaire des enfants et efface des stéréotypes entre filles et garçons. Connecter les enfants à la nature les motive également à en prendre soin en grandissant.
Nous avons fortement besoin de tout cela. Mon premier groupe de Français·e·s, que j’ai accompagné à Copenhague, a été fasciné d’observer dans quelle liberté et avec quelle confiance les petit·e·s Danois·e·s évoluent. Elles et ils ont également été surpris·e·s par le nombre d’hommes éducateurs et de papas que nous rencontrons à la sortie des crèches : ”Tu as certainement fait appel à tes cousins et à tes frères pour mobiliser autant d’hommes !”
De retour, un soir, dans le village médiéval clunisien où nous avons choisi d’habiter maintenant après avoir vécu seize ans à Lyon, je rencontre un couple fort sympathique au marché, qui habite dans la maison qui appartenait à l’abbesse, la fondatrice du village. Nous entamons un échange sur la place des femmes dans la société française. L’homme va chercher un livre qu’il a dirigé, La place et le rôle des femmes dans l’histoire de Cluny. Il m’offre le livre et me souhaite la bienvenue !
Enchantée par cette nouvelle vie qui m’attend dans un petit village en France plein d’histoire, de culture, de nature sauvage et de gens si accueillants, je rentre dans ma maison, où je retrouve le dossier que l’administration française (bon sang, qu’elle me semble aussi vieille que mon village !) me demande de remplir. Et cette fois, j’arrive enfin à le finir pour l’envoyer !
Kristine Adamsen