[Reportage] Syrie-Irak : L’utopie en marche des résistantes kurdes
Les combattantes kurdes jouent un rôle essentiel pour les droits de leur nation sans État, le Kurdistan, à cheval entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Dans cette région ravagée par les conflits et la violence patriarcale, ces résistantes se battent tout en inventant un nouveau monde, féministe, égalitaire, écologique et profondément démocratique. Voyage au cœur d’une révolution unique, dans le quotidien des femmes, des maquis du Qandil (Kurdistan d’Irak) au Rojava (Kurdistan de Syrie).
Texte de Mylène Sauloy. Photographies de Maryam Ashrāfi
Paru dans Femmes ici et ailleurs #47, janvier-février 2022

Ma vie avec les combattantes kurdes des maquis du Qandil
La grande reportrice et documentariste française Mylène Sauloy s’est rendue six fois entre 2002 et 2018 dans les maquis de la résistance kurde, en particulier dans le Qandil, épicentre de la lutte et, surtout, de la construction d’un nouveau monde. Récit à la première personne.

Biographie express
Autrice, réalisatrice, camerawoman, Mylène Sauloy a grandi à Marrakech et passé vingt ans en Colombie. Elle a réalisé de nombreux documentaires dans des zones de conflit, en quête d’humanité, de résistance, de traces de vie. Elle s’est souvent attachée à documenter l’histoire des femmes, qui portent un lourd fardeau dans les régions de guerre, tout en protégeant la vie.
Depuis un premier film en 1998 à Bakur (le Kurdistan de Turquie), où la puissance des femmes l’a fortement impressionnée, elle s’est passionnée pour la Mésopotamie. Parmi ses œuvres autour des femmes kurdes, deux films, Kurdistan, la guerre des filles et La révolution par les femmes ; une BD, Les Filles du Kurdistan ; et plusieurs expositions intitulées Femmes ! Vie ! Liberté !
Début 2015, le monde découvre avec stupeur des jeunes femmes souriantes, foulard coloré ornant leur chevelure, kalachnikov à l’épaule, index et majeur brandis pour le V de la victoire ! Elles viennent de combattre des mois en première ligne contre Daesh pour extirper ses djihadistes de Kobané, petite ville située sur la frontière entre Turquie et Syrie.
Kobané devient alors le symbole de la résistance kurde à la barbarie de l’État islamique, première cité arrachée aux fous de Dieu, et première étape de leur déclin ; qui ira jusqu’à la libération de Raqqa, capitale de leur “califat”, où ont été ourdis les attentats de 2015 en France. Et donc première respiration pour nous “Occidentaux”, alors tétanisé·e·s par les conquêtes du terrorisme islamiste. Et aussi, révélation de l’existence du Mouvement des femmes libres, engagées dans la guerre, et surtout dans la construction d’une nouvelle société.
Pour comprendre l’ampleur de cet engagement, il faut d’abord faire un voyage dans le temps… à rebours, au cœur des montagnes escarpées du Qandil, où j’ai découvert et filmé ces femmes libres.

Nichés aux confins de la chaîne du Zagros, dans le nord de l’Irak, juste à la frontière de l’Iran et de la Turquie, les monts du Qandil doivent leur notoriété à une politique de résistance ancrée de longue date dans la région. C’est là que le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) venu de Turquie, a installé depuis le milieu des années quatre-vingt des bases arrière pour ses guerilas, à l’instar de son allié le PJAK (Parti de la liberté et de la vie du Kurdistan) né, lui, en Iran. C’est là que l’aviation turque et l’artillerie iranienne lancent des attaques régulières.