Le mot : Imposteur (syndrome de l’)
Tous les deux mois, La Petite Roberte ramène sa science : souvent énervée, toujours engagée, volontiers caustique, sa mission est d’éclairer les expressions et concepts parfois obscurs pour parler d’égalité femmes-hommes et partager une réflexion féministe sur des mots de tous les jours.
Par La Petite Roberte
Paru dans Femmes ici et ailleurs #50, juillet-août 2022

Le syndrome de l’imposteur est une imposture. Déjà, il porte mal son nom. Conceptualisé en 1978 par la psychologue Pauline Clance, ce désagréable sentiment de ne pas être à la hauteur concerne principalement des femmes, des “impostrices” donc… Terme qui n’existe pas ! L’Académie est formelle : le mot n’est que masculin, en raison de son étymologie : l’impostor latin ne connaissant pas de féminin. Le Grévisse documente une seule occurrence d’ “imposteuse”, chez Jean Giraudoux, dans Les Provinciales.
En revanche, une femme peut être une “usurpatrice” en s’emparant d’un bien, d’un titre ou d’une dignité sans pouvoir y prétendre légitimement. Ce qui est fréquent. Pouvoir, argent et même droits pour elles ou leurs enfants : à bien des époques et, encore de nos jours, dans bien des lieux, elles ne peuvent pas prétendre à grand-chose. Comme le remarque la romancière Rebecca West, les femmes se font traiter d’usurpatrices “à chaque fois que (leur) comportement ne permet plus de les confondre avec un paillasson1”.
Mais revenons-en à cette imposture, qui ne se conjugue donc pas mais se vit essentiellement au féminin. C’est sur la base d’une étude menée sur 150 femmes, toutes très diplômées et exerçant des métiers prestigieux, que le “syndrome de l’imposteur” a été décrit voici plus de quarante ans. Une enquête récente du cabinet KPMG montre qu’aujourd’hui encore, 75 % des femmes cadres en sont affectées au moins une fois dans leur carrière.
Ce sentiment d’illégitimité se manifeste très tôt, dès les premières années, via la socialisation différenciée, quand les enfants intériorisent les normes et les valeurs de la société dans laquelle elles et ils évoluent. Les filles sont encouragées à exceller dans la passivité en étant “sages” et “jolies” quand c’est l’action qui est valorisée pour les garçons. Résultat ? Selon une étude menée dans trois universités américaines, dès l’âge de six ans, les premières pensent qu’elles sont moins fortes et moins brillantes que les seconds.

Bien sûr, le sexisme n’arrangera rien ensuite. Dans le monde du travail, les femmes subissent encore régulièrement une “présomption d’incompétence” : moins recrutées, écoutées, moins promues, elles sont toujours moins payées, ce qui, dans notre système de références, reste le signe que leur travail est moins valorisé. Rien de surprenant à ce que nombre d’entre elles mettent leur réussite sur le compte d’un facteur extérieur, de la belle rencontre au coup de chance, tout en continuant de n’imputer leurs échecs qu’à elles-mêmes. Enfin, le manque de confiance en soi peut aussi conduire à des pratiques d’auto-sabotage formidablement efficaces.
Mais soyons honnêtes, les femmes ne sont pas les seules à vivre dans cet inconfort. Selon les chercheuses Valérie Young et Sandi Mann, le syndrome de l’imposteur toucherait aussi, tous sexes confondus, les personnes discriminées ou issues de minorités sociales, les professionnel·les qui travaillent seul·es, ainsi que les métiers créatifs et intellectuels. Bref, un bon paquet de gens que leur position dans nos sociétés, leur façon de vivre et de penser conduisent à se poser des questions.
Alors, que faire ? Les inciter à oser et à prendre confiance ? Certainement. Mais aussi, pourquoi pas, aimer un peu plus celles et ceux qui doutent, ces “gens qui trop écoutent, leur cœur se balancer ” ainsi que le chantait Anne Sylvestre. Dans un article publié en avril, Basima Tewfik, professeure au Massachusetts Institute of Technology, affirme que les salarié·es affecté·es par ce “syndrome” sont plus empathiques, davantage à l’écoute des autres, favorisent un meilleur esprit d’équipe, tout en étant aussi efficaces. Dit autrement, de chouettes collègues de boulot. Vive les imposteurs ! ●
Sur la playlist
L’imposture de Louise Attaque
L’imposteur de Médine
Imposteur de Taïro
Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre
1. La citation originale, de 1913, indique : “Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson.”
La petite Roberte est un personnage chimérique et bicéphale associant Sandrine Boucher, corédactrice en cheffe de Femmes ici et ailleurs et Muriel Salle, universitaire, historienne et coresponsable de la mission Égalités à l’Institut d’études politiques de Lyon.