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Shanley Clemot MacLaren : Faire blocage au cybersexisme [France]

Pour cette étudiante en sciences politiques, dénoncer les violences faites aux femmes est un combat qui se mène sur deux fronts : la vie réelle et la sphère virtuelle. En terminale, elle bloque son lycée pour dire non au harcèlement. Aujourd’hui, c’est sur la toile qu’elle traque le cybersexisme avec son collectif Stop Fisha.

Par Louise Pluyaud
Paru dans Femmes ici et ailleurs #41, janvier-février 2021

Entre son militantisme et ses études en sciences politiques à l’université Paris 8, l’emploi du temps de Shanley Clemot MacLaren, vingt et un ans, est chargé. Notre rencontre a lieu entre deux rendez-vous, dans un café parisien. Piercing au nez, taches de rousseur, cheveux blonds et longs, elle a l’allure des étudiantes de son âge : un bomber et des Buffalos aux pieds. Ces baskets compensées qui cartonnaient dans les années quatre-vingt-dix, époque marquée par le tube d’une Britney Spears en tenue d’écolière au titre ambigu, Hit me baby one more time. Littéralement “Frappe-moi encore une fois chéri”1. Un refrain inaudible pour cette Française d’origine écossaise. “À dix-sept ans, j’ai été victime d’un petit ami violent. J’avais honte et je ne voulais pas que ça se sache.” Après des mois de calvaire, Shanley Clemot MacLaren décide de porter plainte avec le soutien de sa mère. Un acte qui marque le début de son combat féministe et pour la justice. “Aujourd’hui, je suis une femme forte. Je veux lutter avec et pour les autres !

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Premier fait d’armes

Au cours de l’année de son bac littéraire, au lycée Camille Pissarro à Pontoise, en banlieue parisienne, son amie Hajar Errami lui confie qu’elle et d’autres élèves sont harcelées. “Lorsqu’elles passaient au tableau, on les appelait ‘gros cul’”, raconte Shanley. Certaines font même part d’agressions physiques. “Cela se déroule sous les yeux des professeur·e·s, souvent impuissant·e·s, et des autres élèves qui n’osent pas répondre. Chacun·e attend que l’autre réagisse. Au final, il ne se passe rien.” Un matin de décembre 2017, Shanley et Hajar contre-attaquent : elles mobilisent une centaine de camarades, filles et garçons, pour bloquer leur établissement. “Nous étions frigorifié·e·s, se rappelle en riant l’étudiante. Mais rien ne pouvait nous arrêter.” Sur leurs pancartes, ces messages : “Harceler n’est pas un jeu, c’est un délit”, “Ras-le-bol du sexisme à l’école”. Le blocus ne dure qu’une journée, mais leur combat est relayé dans les médias. A posteriori, la militante regrette toutefois que certain·e·s y aient vu un problème de banlieues. “Ces violences surviennent dans tous les lycées : ceux du 16e arrondissement de Paris, du 93 ou de province.

En juin 2018, Shanley Clemot MacLaren est reçue par l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’Égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa. L’occasion de mettre sur la table les propositions que la lycéenne a préparées avec une vingtaine de jeunes ; parmi lesquelles la possibilité pour les enseignant·e·s de faire du harcèlement sexuel un motif de sanction ou encore l’inscription dans la loi d’une règle commune, “non subjective” sur la tenue vestimentaire attendue au collège et au lycée. “Des filles sont refusées en cours car elles portent des jupes au-dessus du genou. On ne dit rien aux garçons en short, c’est injuste. Nous sommes mineures et déjà hypersexualisées.” Marlène Schiappa “a pris des notes”. La petite délégation devait ensuite être reçue par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Depuis, il y a eu le débat sur “la tenue républicaine” de la rentrée dernière. “Nous attendons toujours le rendez-vous…”, déplore l’étudiante qui milite pour une réforme en profondeur du système éducatif.

Les établissements scolaires ne sont pas un lieu “où les filles peuvent pleinement s’émanciper”, estime-t-elle. Dans les rares cours de SVT consacrés à la sexualité, “on nous apprend à mettre un préservatif. Le pénis est nommé sans ambiguïté, mais pour la vulve, mon prof parlait de ‘la fleur’. C’est grâce à Instagram que j’ai appris ce mot, ‘vulve’ et à en dessiner une”, sourit Shanley Clemot MacLaren, arborant un totebag au nom de la série documentaire sur le plaisir féminin, Clit Révolution.

Intervention du collectif Stop Fisha. Révolte Camp. © Révolte Camp

Dénoncer le cybersexisme

La négation de la sexualité des jeunes filles entraîne la violence sexiste. “Elle sévit autant dans la vie réelle que sur le web”, affirme l’étudiante. En mars 2020, Shanley Clemot MacLaren assiste à l’explosion des comptes “fisha” (“affiche” en verlan) sur les réseaux sociaux, où sont diffusées photos et vidéos intimes de filles, parfois très jeunes, sans leur consentement. Le but : les humilier et les punir. Les messages ? “Sale chienne”, “pute”, etc. Les phénomènes de slut shaming (pour “slut”, salope en anglais et “shame”, honte) et de revenge porn (vengeance pornographique) ont bondi pendant le premier confinement. “Parce que les agresseurs, qui s’autoproclament juges, ont passé plus de temps sur internet, mais aussi parce qu’ils n’avaient plus la rue pour nous faire du mal”, explique la milléniale. Et, bien que virtuelles, ces attaques ont de graves conséquences. Le 1er avril 2020, à cause d’un compte fisha, Elyse, seize ans, a mis fin à ses jours.

Face à l’urgence, Shanley, Hajar et d’autres ami·e·s ont créé le collectif Stop Fisha pour “traquer, dénoncer et faire supprimer ces comptes” et bousculer Instagram ou Snapchat, entre autres, qui affirment ne pouvoir “examiner que ceux qui présentent le plus grand risque de préjudice”. Constitué désormais en association, Stop Fisha intervient aussi en milieux scolaires et professionnels à la demande d’institutions ; objectif : mieux accompagner les victimes de cybersexisme, sensibiliser à la question du consentement en ligne, etc. “Souvent, les adultes ne savent pas de quoi il s’agit. Le décalage générationnel est réel. Et les victimes vont plutôt se confier à nous.

Renforcer l’arsenal judiciaire

Stop Fisha soutient également celles qui souhaitent porter plainte, en les mettant en contact avec des avocates qui peuvent donner des conseils. “Tant que l’impunité régnera, ces comptes continueront d’exister”, rappelle Shanley Clemot MacLaren, qui déplore que “sa brigade numérique” doive exister. “C’est la preuve d’un système défaillant.” Pharos, la plateforme de signalement de contenus dangereux sur internet, compte moins d’une trentaine de gendarmes et policier·ère·s pour traiter 1 500 signalements quotidiens… “Il faut renforcer les effectifs et adapter la législation aux nouvelles techniques de cyberviolence. En créant notamment des infractions sur le slut shaming virtuel”, préconise la jeune femme déjà sur le pied de guerre. À peine le temps de twitter qu’elle doit déjà filer à un autre rendez-vous. “Stop Fisha va collaborer avec un centre d’arts martiaux, confie-t-elle. Nous devons apprendre à nous défendre.” Le refrain de cette guerrière des temps modernes : “Every woman is a riot !” (“Chaque femme est une révolte”) ●

1. Le livre The Song Machine révèle que l’auteur suédois des paroles de la chanson aurait simplement fait une faute : il pensait que “hit me” signifiait “call me” en argot américain. Une explication qui a peu convaincu celles et ceux qui y ont vu une incitation à la violence domestique. Par prudence, le label de la chanteuse a décidé de changer le titre par… Baby one more time.