Parole d’experte : Quand les stéréotypes passent à table
Femmes et hommes ne se nourrissent pas de la même manière, sans que cette différence se justifie par des raisons de physiologie ou de santé. Et même, au contraire. Nora Bouazzouni, autrice, spécialiste des questions de genre et d’alimentation, explique pourquoi.
Propos recueillis par Sandrine Boucher
Publié dans Femmes ici et ailleurs #46, novembre-décembre 2021

Biographie express
Nora Bouazzouni est une journaliste et écrivaine française qui s’est spécialisée notamment dans les questions de genre et d’alimentation. Elle a publié en 2017 Faiminisme, quand le sexisme passe à table, sur le machisme dans le monde de l’alimentaire, puis, en 2021, Steaksisme, en finir avec le mythe de la végé et du viandard, consacré aux représentations et stéréotypes associés à la nourriture, l’un et l’autre aux éditions Nouriturfu. En 2018 et 2019, Nora Bouazzouni a créé et coanimé le podcast Plan culinaire. Elle écrit, entre autres, dans Médiapart, Slate, Usbek & Rica, Rue89 ou Libération.
Qu’est-ce qui vous a poussée à explorer les différentes facettes des liens entre genre et alimentation ?
Les deux sujets m’intéressent depuis longtemps. Après avoir travaillé sur le sexisme dans le système alimentaire, je me suis demandé quelle était la construction culturelle qui nous poussait à associer spontanément l’idée d’un plat “masculin” à un steak et d’un plat “féminin” à une soupe de légumes. Et ceci ne concerne pas seulement les sociétés occidentales ou occidentalisées. Partout dans le monde, dans toutes les communautés humaines, quelles que soient leur culture, leur religion ou leurs traditions, il y a ces deux constantes en matière de nourriture : la viande est associée à la virilité et ce sont les femmes qui font à manger.
Le stéréotype de l’entrecôte pour monsieur et du velouté de courgettes pour madame reflète-t-il une réalité ?
Même si tout le monde mange de tout, ce cliché se vérifie dans les faits. Les études Inca1, qui font référence en matière d’alimentation dans notre pays, montrent que les femmes privilégient les yaourts, les compotes, la volaille, les soupes, les boissons chaudes et les eaux minérales, quand les hommes préfèrent les fromages, les charcuteries, les viandes (hors volaille), les crèmes dessert et les alcools. Face à l’inventaire de ce qu’a consommé une personne pendant une semaine, il n’est pas difficile de deviner s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. Ce n’est pas une question de goût. La communauté scientifique est unanime sur ce point : le goût n’est pas inné, mais façonné dès la naissance par les parents.
Ces différences d’alimentation entre femmes et hommes ont-elles une raison physiologique, de santé ?