Reportage : Pour les femmes, Le Blanc hisse le rouge [France]
C’était la mauvaise nouvelle de trop. La décision de fermeture temporaire, puis définitive de la maternité du Blanc a révolté la population de cette petite ville de l’Indre. Avec de nombreuses femmes en tête de la mobilisation, mais aussi des hommes, les habitant·e·s se sont rassemblé·e·s pour imaginer et mener des initiatives loufoques, spectaculaires, solidaires. Un soulèvement mixte et collectif pour la santé des femmes, qui inspire bien au-delà de ce territoire.
Texte de Lena Bjurström
Photographies de Christopher Chriv (sauf mention)
Paru dans Femmes ici et ailleurs #29, novembre-décembre 2018

Tout a commencé en juin dernier, quand est tombée l’annonce d’une fermeture “temporaire” de la maternité du Blanc, commune de 6 500 habitant·e·s au cœur de la Brenne, dans l’Indre. En accord avec l’Agence régionale de santé, le centre hospitalier de Châteauroux — en charge de celui du Blanc depuis la fusion des deux établissements en 2017 — estime que la sécurité des accouchements n’est pas assurée par manque de personnel. Mais pour les femmes enceintes du Blanc et des communes alentour, cette décision signifie surtout qu’elles vont se retrouver à plus de cinquante kilomètres des maternités les plus proches : Châteauroux, Châtellerault ou Poitiers. Une heure de route avec des contractions, sans garantie de ne pas devoir accoucher dans la voiture… Pour de nombreux·ses Blancois·es, cette décision n’est rien de moins qu’une “violence faite aux femmes”, selon les termes de la maire de la commune, Annick Gombert. D’autant que, si l’Agence régionale de santé parle de “suspension temporaire”, personne ne se fait d’illusion au Blanc. Leur maternité est menacée depuis des années.
En 2011 déjà, sa fermeture par l’administration n’avait été évitée que par une forte mobilisation. Entre 5 000 et 6 000 habitant·e·s étaient alors descendu·e·s dans la rue, à l’appel du comité de défense des usager·e·s de l’hôpital du Blanc, réunissant élu·e·s, citoyen·ne·s et membres du personnel.

Début du mouvement de résistance
Le 18 juin, 1 500 personnes se retrouvent donc dans le centre-ville pour défendre leur maternité. “En ce jour symbolique, nous entrons en résistance”, clame la maire. Devant la sous-préfecture, les discours s’enchaînent, une chorale chante La Marseillaise, mais, pour certain·e·s, le rassemblement tient plus de l’éloge funèbre que de l’insurrection. “Nous étions plusieurs habitant·e·s à nous dire que le combat était déjà perdu. Nous ne nous sentions pas mobilisé·e·s, alors qu’on avait tous et toutes conscience de l’enjeu”, se souvient Claire Moreau, animatrice dans une association locale d’éducation populaire, devenue depuis un·e des piliers de la contestation. Ce soir-là, une poignée de citoyen·ne·s du Blanc et des villages voisins se réunissent chez elle et son compagnon. Des femmes, des hommes, souvent jeunes parents. “Nos enfants sont presque tou·te·s né·e·s à la maternité du Blanc, souligne Claire Moreau, elle-même mère de trois enfants, et nous sommes unanimes pour dire que cette maternité est super, parce qu’à taille humaine. Il y a un vrai suivi avant et après l’accouchement. Nous sommes en confiance. Et puis, parce que c’est une maternité de proximité, les conjoint·e·s peuvent être là.” Nombre des personnes présentes ce soir-là se connaissent de près ou de loin. Pour la plupart engagées dans la vie associative, elles sont inquiètes pour l’avenir de la maternité et volontaires pour agir.
Premières actions médiatiques

Mais comment ? De discussions en discussions, l’idée est lancée de mettre en scène un faux accouchement sur la route, comme symbole des temps à venir. Christelle Bouche, cantinière et seule femme enceinte de l’assemblée, est partante pour jouer les parturientes abandonnées. Un rôle à la mesure de sa situation. “J’ai appris le jour de ma dernière échographie que la maternité allait fermer et que je ne pourrais donc pas accoucher au Blanc comme prévu, raconte-t-elle, et je l’ai su par les médias ! Vous vous rendez compte ?” Le 29 juin, deux jours après que la maternité ait baissé le rideau, elle crie au milieu d’un carrefour du Blanc, mime les dernières contractions, tandis qu’un ami comédien joue le père paniqué sous le regard d’une petite centaine de personnes. Le “spectacle de rue” est un succès et à la réunion suivante, d’autres rejoignent le groupe. Avec une quinzaine d’habitant·e·s, décidé·e·s et plein·e·s d’idées, le collectif est lancé. Son nom : Cpasdemainlaveille. “Parce que ce n’est pas demain la veille qu’on va se laisser faire. C’est l’idée que nous, habitant·e·s, réagissons !”, explique Claire Moreau. Le Blanc n’a certes pas attendu la création du collectif pour agir. “Le comité de défense de l’hôpital fait un super boulot depuis 2011 en travaillant notamment sur le plan politique et juridique, il fait pression sur l’administration et le gouvernement. Le principe du collectif d’habitant·e·s, de son côté, est que chacun·e puisse faire quelque chose à son niveau. Avec nos propositions d’actions médiatiques où tout le monde peut participer, nous sommes complémentaires du comité”, précise Laure Courgeau, animatrice de réseaux agricoles.