Parole d’experte : Comment en finir avec un monde de la culture qui oublie les femmes ?
Il y a quinze ans, ses deux rapports avaient fait scandale. Sous la plume de Reine Prat, haute fonctionnaire, la culture se découvrait sexiste, avec de rares femmes à la tête des institutions, et, pour les artistes, des difficultés à être représentées. Aujourd’hui, c’est une femme en colère qui dénonce l’inaction politique, tout en relevant des signes et initiatives encourageants.
Propos recueillis par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #50, juillet-août 2022

Biographie express
Reine Prat, agrégée de lettres et haute fonctionnaire du ministère de la Culture, est l’autrice de deux rapports ministériels, Pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts du spectacle. Publiés en 2006 et 2009, ils ont révélé pour la première fois l’ampleur des discriminations dans le monde de la culture, dans l’accès aux postes à responsabilités, aux moyens de production et de diffusion, aux salaires, etc. Des collectifs de professionnel·les de la culture en faveur de l’égalité se sont créés dans la foulée, dont le mouvement H/F. Reine Prat a écrit dernièrement Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture, publié à l’automne 2021 aux éditions de l’Échiquier.
Depuis la sortie de vos rapports sur les inégalités femmes-hommes dans la culture en 2006 et 2009, vous affirmez dans votre nouveau livre, Exploser le plafond, que vous vous êtes “radicalisée” sur ces questions. Pourquoi ?

À l’époque, entre 60 et 100 % des directions de structures dans le spectacle vivant étaient occupées par des hommes. J’avais découvert qu’il y avait davantage de femmes à des postes de responsabilité dans l’armée que dans la culture… Mon premier rapport avait fait, dit-on, l’effet d’une bombe, avec beaucoup de réactions dans la presse. Je me suis dit : maintenant que ces inégalités sont quantifiées, que nous savons comment ce système fonctionne, ça va changer.
Puis j’ai poursuivi mon travail sur ce sujet, en organisant des rencontres par secteur, avec des femmes de théâtre, des danseuses, des compositrices, etc., en particulier pour répondre à l’argument : “Oui, tu as raison, il faudrait nommer des femmes aux postes de direction, mais on n’en trouve pas.” En 2009, je me rends compte que les chiffres n’ont pas bougé… En fait si : au lieu d’avoir 42 % de directrices dans le monde de la danse, nous n’en avions plus que 32 %. Nous étions à 16 % en décembre 2021. Aujourd’hui, alors que je continue à être invitée partout pour parler de ces inégalités, je constate toujours que rien n’y fait. Donc, oui, je me suis radicalisée !
Alors que l’état des lieux est fait et que la prise de conscience est là, pourquoi rien ne change ?