Reportage : Mangrove, l’avenir assuré par les femmes [Sénégal]
À Soucouta, petit village de la région du Sine Saloum, au sud du Sénégal, une fédération de femmes agit depuis les années quatre-vingt-dix pour préserver la mangrove. Menacée, cette forêt de palétuviers est une ressource essentielle pour les communautés villageoises : elle les fait vivre, les nourrit et les protège. Les habitant·e·s ont rejoint l’engagement de ces femmes dans l’espoir et avec la volonté de léguer ce joyau aux plus jeunes.
Texte de Clémence Cluzel. Photographies de Carmen Abd Ali.
Publié dans Femmes ici et ailleurs #46, novembre-décembre 2021

Le soleil n’est pas encore haut dans le ciel et projette ses doux rayons sur une végétation luxuriante. La mangrove, cette forêt tropicale typique du delta du Saloum, une région située au sud du Sénégal, offre parmi les plus beaux paysages du pays. Alors que le calme règne, des éclats de rires s’échappent d’un bolong (bras de mer). Venues par pirogue ou en barque, de petits groupes de femmes œuvrent depuis cinq heures et demie du matin.
Vêtues de protections de fortune fabriquées à partir de vieux vêtements et munies de couteaux, elles sont là comme presque chaque matin, à marée basse, pour récolter les huîtres et moules qui se développent naturellement sur les racines des palétuviers. Comme les autres femmes immergées dans l’eau salée, Adji Kor, cinquante-neuf ans, la tête couverte d’un bonnet de bain, s’acquitte avec dextérité de sa tâche alors même qu’elle ne sait pas nager.
Soucouta, le village de 385 âmes dont elle est originaire, est situé au cœur de la réserve de biosphère du delta du Saloum, une zone désormais protégée, dont la mangrove occupe environ 58 000 hectares et possède une faune et une flore exceptionnelles. Barrière protectrice contre l’océan, grenier nourricier, source d’emplois (pêche, ostréiculture, tourisme), action de lutte contre le changement climatique par le stockage de C02, les fonctions de cette forêt sont multiples, faisant d’elle une ressource précieuse pour les villageois·es. Mais depuis plus de trente ans cet écosystème est menacé, mettant en péril le devenir des populations locales.

Prise de conscience
Native de Soucouta, Yandé Ndao a rapidement constaté cette dégradation de l’environnement : arbres morts, diminution des poissons, bois coupés sauvagement… “J’étais révoltée”, se souvient cette désormais grand-mère de soixante-trois ans. Entre 1980 et 2005, le Sénégal a ainsi perdu 14 % de sa mangrove à cause du changement climatique. Depuis les années soixante-dix en effet, la pluviométrie a fortement diminué, provoquant une sécheresse.
Les feuilles des végétaux sont plus fréquemment grillées par le soleil, les nappes phréatiques restent asséchées tandis que les courants marins devenus plus forts érodent violemment les côtes. Dans le même temps, la salinité des eaux et des terres s’accentue, ce qui empêche la reproduction des poissons dans les bolongs et bloque l’exploitation agricole des sols. Mais pour Yandé Ndao, “le plus grand danger, c’est l’exploitation humaine”.


“Les ressources étaient utilisées de façon abusive. Par méconnaissance, les ancien·ne·s ne se posaient pas de questions sur les conséquences de leurs activités. Je n’ai pu que constater les dégâts de la surpêche et de la coupe excessive de bois”, se désole cette femme au visage impassible mais au regard déterminé. Elle-même mère de deux fils pêcheurs, elle voit au quotidien leurs difficultés. “Ils me disaient tout le temps qu’il n’y avait plus de poisson dans les bolongs. Ils partent plus longtemps, dépensent beaucoup en essence car ils vont plus loin en mer et reviennent plus souvent bredouilles”, détaille-t-elle.
L’activité de pêche dépend en effet étroitement de la mangrove : c’est dans cet écosystème que vivent et se reproduisent de nombreuses espèces de poissons. La pêche est le premier pourvoyeur d’emplois dans la région – et premier secteur de l’économie sénégalaise –, ainsi que la principale source nutritive des villageois·e·s. Voir disparaître la mangrove est donc synonyme de perte de travail mais aussi de menace pour la sécurité alimentaire de la région, voire au-delà, car les produits halieutiques sont exportés dans le pays.
“Très tôt, j’ai compris que l’environnement était sacré et que la vie d’un être humain en dépendait”, insiste-t-elle, attristée par l’ampleur des dégâts. Poussée par l’urgence de la situation, Yandé Ndao crée en 1998 un groupement d’intérêt économique féminin (Gief). Encouragée par son grand-père alors chef du village, “Mère Yandé”, comme elle est surnommée, lance un appel à toutes les femmes de Soucouta. Elles sont quarante-quatre à y répondre, principalement des femmes d’âge mûr. Persuasive, elle obtient le soutien du sous-préfet. La première initiative de femmes pour la défense et le reboisement de la mangrove vient de voir le jour.
Sensibiliser et reboiser