Madonna Thunder Hawk et Marcella Gilbert : Paroles de guerrières [États-Unis]
Depuis six décennies, Madonna Thunder Hawk se bat pour la reconnaissance de son peuple, de ses droits et la protection de la Terre. Cette octogénaire de la tribu Oohenumpa Lakota n’est pas seule à résister. De l’effervescence des années soixante-dix à l’ère Trump, les Amérindiennes sont nombreuses en première ligne. À commencer par sa fille, Marcella Gilbert, compagne de lutte autant qu’héritière d’un combat que se transmettent les générations.
Par Lena Bjurström
Paru dans Femmes ici et ailleurs #37, mai-juin 2020

Biographies Express
Madonna Thunder Hawk, née Gilbert, est une activiste de la tribu Oohenumpa Lakota, née en 1940 dans le Dakota du Sud, aux États-Unis. Après l’expropriation de sa famille et l’inondation de ses terres de la réserve de Cheyenne River par un barrage, elle s’engage dans l’American Indian Movement. Des grandes manifestations des années soixante-dix à l’occupation de la réserve de Standing Rock contre l’oléoduc pétrolier Dakota Access Pipeline en 2016 et 2017, Madonna Thunder Hawk est de tous les combats amérindiens des dernières décennies. Elle est aujourd’hui membre du Conseil des grand-mères, une organisation informelle d’activistes de la réserve de Cheyenne River. Un héritage transmis à sa fille, Marcella Gilbert, qui l’a accompagnée dans ses luttes dès son adolescence et se mobilise pour la revitalisation culturelle et la souveraineté alimentaire de sa communauté. Les deux femmes ont lancé le projet Warrior Women, qui est à la fois une plateforme de collecte des récits et combats des femmes indigènes américaines et le titre d’un film documentaire sorti à l’automne 2019.
Quelle a été votre première grande colère ?
Madonna Thunder Hawk : À la fin de mon adolescence, ma maison et nos terres dans la réserve de Cheyenne River ont été inondées suite à la construction d’un barrage sur le Missouri. Nous avons quitté la réserve pour les grandes villes, notamment San Francisco. Dans les années soixante, l’Amérique était en pleine révolution culturelle, avec les manifestations contre la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques, les Black Panthers… Dans cette ébullition générale, nous avons pris conscience que nous avions nos propres combats à mener, que nous n’avions pas à accepter toutes les atrocités endurées par notre peuple, toutes les injustices que nous avions supportées avec fatalisme. Comme nos parents avant nous, nous avons été envoyé·e·s à l’âge de six ans dans ces pensionnats pour Indien·ne·s, créés par le gouvernement américain, pour y subir un véritable lavage de cerveau. Chaque génération y a appris à baisser la tête. Mais nous étions jeunes, en colère, nous nous sommes réveillé·e·s. Nous avions nos propres combats à mener, sur nos terres.

À la fin des années soixante, vous avez donc rejoint l’American Indian Movement (AIM) et pris part aux grandes occupations du mont Rushmore, de l’île d’Alcatraz et de Wounded Knee. Que dénonciez-vous ?
M. T. H. : Pendant la seconde moitié du 19e siècle, nos ancêtres ont signé des traités protégeant nos terres, systématiquement violés par le gouvernement et les colon·e·s qui se sont emparé·e·s de nos territoires. Les occupations que nous avons menées aux Black Hills, à Alcatraz et ailleurs proclamaient : “Ces terres sont les nôtres.” Alors que le monde nous ignorait jusqu’alors, nous clamions notre droit à exister. Cette revendication a atteint son paroxysme à Wounded Knee en 1973 [Pendant soixante et onze jours, sous les regards de journalistes de tout le pays, la police a assiégé la ville, occupée par l’AIM. De violents affrontements entre activistes et forces de l’ordre ont fait deux morts, dans les rangs de l’AIM et de multiples blessé·e·s. NDLR]. Si elles n’ont pas permis de retrouver nos terres, ces actions nous ont rassemblé·e·s, uni·e·s. Wounded Knee a également marqué un tournant dans la répression. Nous avons toutes et tous été poursuivi·e·s en justice et l’AIM a été dès lors considéré comme une organisation terroriste. C’est à cette même époque que vous avez créé avec Lorelei De Cora la “We will remember Survival School”.