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Dossier : Frissons, les sportives de l’extrême [France-Suisse]

Qu’elles défient des vagues de 20 mètres, dévalent des pistes de ski à plus de 200 km/h ou qu’elles oscillent en équilibre sur des lignes suspendues à 100 mètres du sol, certaines sportives battent en brèche les clichés d’un courage et d’un goût pour le risque, apanage des hommes. Quelques-unes ont mis le pied à l’étrier grâce à un proche pratiquant ; d’autres ont simplement été inspirées par des hommes qui s’exerçaient devant leurs yeux. Ces sportives hors normes ont aussi en commun de ne pas avoir eu de modèles féminins. Mais elles bousculent les codes. Aujourd’hui, ce sont elles les modèles.

Texte de Nicolas Penin
Publié dans Femmes ici et ailleurs #50, juillet-août 2022

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La Brésilienne Jacqueline Valente plonge depuis la plate-forme de 21 mètres lors de la dernière étape de la Red Bull Cliff Diving World Series à la cascade de Rininahue. Lago Ranco, Chili, 19 octobre 2017. © Alfred Jürgen Westermeyer / Red Bull Content Pool


Sports à risque : des femmes dans un fief d’hommes

L’idée que le courage et l’audace seraient “naturellement” des attributs masculins est encore bien ancrée, selon le sociologue Nicolas Penin. Peu nombreuses à pratiquer des disciplines extrêmes, des sportives démontrent par leurs prouesses que le goût de l’adrénaline n’est pas réservé aux hommes.

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DR

Biographie de l’auteur

Au terme d’études de sociologie et de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), Nicolas Penin a soutenu une thèse portant sur les modes d’engagement des hommes et des femmes dans les sports “à risque”. Depuis 2007, il est maître de conférence de sociologie à l’université d’Artois (Hauts-de-France). Il a publié Les sports à risque. Sociologie du risque, de l’engagement et du genre (Artois Presses Université) en 2012.

En 2021, selon le baromètre national des pratiques sportives de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), les femmes font du sport presque autant que les hommes (63 % vs 66 %). Pourtant des différences importantes persistent entre pratiques féminine et masculine. Aux femmes l’expression corporelle, artistique et esthétique, aux hommes les sports d’affrontement et de force. Comme le dit la sociologue Catherine Louveau : “Sport pour eux, corps pour elles.

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Anna Nikstad en wakeboard sur le lac Caddo. Texas, États-Unis, 29 novembre 2021. © Adam Valadez / Red Bull Content Pool

Seulement 15 % de femmes parachutistes

Dans ce paysage, les “sports à risque” occupent une place singulière. Souvent individuels et pratiqués en marge des structures associatives, ils s’organisent moins autour de compétitions qu’ils ne privilégient la recherche de sensations. Toutes ces caractéristiques sont plutôt celles de sports dits “féminins”, et pourtant les femmes y sont rares. En 2020, elles ne représentaient que 17 % des licencié·es de la Fédération française de vol libre, 15 % au sein de la Fédération de parachutisme, ou 6 % de la Fédération de motocyclisme.

Comme souvent lorsqu’on repère des différences entre femmes et hommes, nombreux·ses sont celles et ceux à chercher des explications du côté de la nature. Sur une dropping zone de parachutisme, un passionné arbore ainsi un t-shirt clamant : “Most sports need one ball. Skydiving needs two” (“La plupart des sports nécessitent une balle. Pour le parachutisme, on a besoin d’en avoir deux”), associant expressément le courage requis pour la pratique du parachutisme et la possession d’organes sexuels masculins.

Les différences entre femmes et hommes tiendraient à des spécificités… physiques. Elles seraient aussi indépassables qu’indiscutables. Pourtant, comme l’illustre avec force ce dossier de Femmes ici et ailleurs, les femmes ne sont pas totalement absentes des sports à risque. Elles peuvent être parachutistes, alpinistes, freerideuses, base-jumpeuses… Voilà qui tord le cou à l’idée de leur fragilité innée et de leur manque d’audace chronique. L’éducation explique pour beaucoup les différences de comportements femmes-hommes en matière sportive.

“Flo, t’es un vrai mec”

Le courage, forgé par la confrontation au risque, est puissamment associé à la masculinité. Chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée, c’est le courage, plus que la force, qui distingue les hommes et les “grands hommes1”. Pour Pierre Bourdieu, faillir face à l’épreuve, c’est prendre le risque d’être relégué au bas de l’échelle de “la domination masculine” et pour Daniel Welzer-Lang “ceux qui ne peuvent pas prouver qu’ils “en ont” sont menacés d’être déclassés et considérés comme les dominés, comme les femmes2 ». S’engager dans les prises de risque, c’est accéder au sommet de la hiérarchie des rapports sociaux de sexe, mais aussi risquer un déclassement pour ceux qui ne se montreraient pas à la hauteur.

Le courage est si fortement associé à la masculinité que, pour certains, il paraît impossible à décliner au féminin. Au lendemain de la première victoire d’une femme dans la Route du Rhum, prestigieuse course au large transatlantique, en 1990, Le Parisien titrait à la une : “Flo, t’es un vrai mec”. Comme si pareil exploit ne pouvait être accompli par une femme. C’est aussi ce que j’ai pu constater chez les parachutistes. À l’évocation de Carine, pratiquante aguerrie et reconnue, ses amis pratiquants m’expliquent : “Carine c’est pas pareil, c’est Carin.

Dans les sports à risque, comme dans la plupart des “fiefs de la masculinité”, les femmes subissent une injonction contradictoire. Il faut se montrer légitime à fréquenter les “conservatoires des vertus viriles” en rejetant certains comportements féminins, tout en apportant des preuves de sa “féminité”.

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L’Australienne Rhiannan Iffland, championne en titre des Red Bull Cliff Diving World Series (plongeon depuis des falaises), dans l’ancien puits de Toorji Ka Jhalra, à Jodhpur, en Inde, le 20 novembre 2019. © Dean Treml / Red Bull Content Pool

Inspirées par des aînés

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