Reportage : Les mamies montent au front [Autriche]
De leur âge, elles ont fait une force. De leur mémoire, une arme. En Autriche, un collectif de grands-mères se bat contre la politique de la coalition droite-extrême droite au pouvoir et contre la montée de l’intolérance dans leur société. Parti de Vienne, leur mouvement essaime dans le pays et même au-delà à l’approche des élections européennes, fin mai.
Texte de Louise Pluyaud
Photographies de Simon Guillemin
Paru dans Femmes ici et ailleurs #31, mai-juin 2019

“On a beau être vieilles, on est toujours dans le coup !” Dans la chaleur réconfortante d’un chic appartement viennois, Susanne Scholl, âgée de soixante-dix ans, tape sur son ordinateur le récit de son prochain livre. L’imposante pendule de l’entrée sonne dix-huit heures. En ce début février, l’obscurité est tombée sur la capitale autrichienne et dehors, le thermomètre affiche – 4°C. Mais la retraitée a un rendez-vous “à ne pas manquer”. À l’abri d’une longue doudoune noire et d’un drôle de bonnet aux oreilles pointues, la voilà dans la rue. De sa fenêtre, une figurine de la coquette reine d’Angleterre semble saluer cette mamie qui s’en va-t-en-guerre.
Comme chaque jeudi depuis un an se tient à Vienne la Donnerstag Demo ; un mouvement citoyen qui rassemble des Autrichien·ne·s opposé·e·s au gouvernement de droite et d’extrême-droite mais qui ne se reconnaissent plus dans les partis d’opposition. “Généralement, nous sommes entre 5 000 et 8 000 manifestant·e·s”, précise Susanne Scholl dans le métro qui l’emmène sur la Schwedenplatz, au départ du cortège. En décembre 2017, le chancelier autrichien Sebastian Kurz, leader du parti des conservateurs chrétiens ÖVP, s’est allié au FPÖ. Ce redouté parti d’extrême-droite a atteint les plus hautes fonctions de l’État puisque son chef, Heinz-Christian Strache, a reçu la charge de vice-chancelier.
Six ministères sur treize, dont ceux de l’Intérieur et de la Défense nationale, ont été confiés à des membres issus de ce parti fondé par d’ancien·ne·s nazi·e·s.
À l’arrière d’un camion aménagé en estrade, Michaela Moser, une des organisatrices de la Donnerstag, harangue déjà la foule : “Il faut de l’énergie pour combattre l’intolérance de ceux qui nous gouvernent. La solidarité sans condition, c’est la résistance !” Sur fond de musique électro, les “Youhou” de jeunes manifestant·e·s retentissent en écho avec ceux, plus timides mais tout aussi enjoués, d’un petit groupe de femmes âgées. “Voilà mes copines !”, s’enthousiasme Susanne Scholl. Entre la bande baraquée des “antifa” et les bouillonnants activistes d’Attac, ce groupe auréolé de bonnets multicolores a de quoi détonner. Et c’est bien l’intention de celles qui se font appeler les Omas Gegen Rechts (Mamies contre la droite).
“C’est cool que les personnes âgées ne s’excluent pas des mouvements politiques et restent actives”, estime Ana, dix-huit ans, en train de distribuer du vin chaud aux manifestant·e·s. Sultan, un jeune Afghan présent dans le cortège, partage son avis : “Dans les démocraties comme l’Autriche, beaucoup de personnes ne mesurent pas à quel point elles ont de la chance d’avoir une liberté d’expression. En manifestant, ces grands-mères montrent qu’elles en ont bien conscience.”
