Laura Codruta Kövesi : Étendard de la justice [Roumanie]
Procureure en chef de la Direction nationale anticorruption en Roumanie, Laura Codruta Kövesi est la femme la plus redoutée du pays. Tant encensée que détestée, elle dirige une armée de magistrat·e·s qui fait trembler les politiques. Elle mène sa mission sans ciller, malgré les pressions.
Propos recueillis par Marianne Rigaux
Paru dans Femmes ici et ailleurs #19, mai-juin 2017
Biographie express
Née en 1973 dans la Roumanie de Ceausescu, Laura Codruta Kövesi devient vice-championne d’Europe de basket l’année où le régime communiste s’effondre. Elle suit les traces de son père procureur et devient, à trente-trois ans, la première femme nommée procureure générale auprès de la Haute Cour de cassation et de justice. Son ascension fulgurante se poursuit jusqu’en 2013, lorsqu’elle est nommée à la tête de la Direction nationale anticorruption.
Depuis, pas moins de 3 000 politiques et haut·e·s fonctionnaires ont été jugé·e·s pour corruption. Parmi lesquel·le·s Adrian Nastase, ancien chef de gouvernement, condamné à quatre ans de prison. L’ex-Premier Ministre, Victor Ponta, forcé de démissionner en 2015, attend son procès pour blanchiment et fraude fiscale. La DNA est l’institution roumaine qui bénéficie du plus fort taux de confiance du pays, après l’Église orthodoxe et l’armée. Décorée par le département d’État américain en 2014, Laura Kövesi est élue “Européenne de l’année” par le magazine Reader’s Digest en 2016 et reçoit la Légion d’honneur quelques mois plus tard. Elle est à l’image de la devise qui orne son CV : “impartialité, intégrité, efficacité”.

Vous dirigez depuis 2013 la Direction nationale anticorruption (DNA), un parquet spécial créé à la demande de l’Union européenne pour assainir la vie politique roumaine. Le bilan est impressionnant : des centaines de ministres, sénateurs, députés, maires, douaniers ont été condamnés. Comment votre institution change-t-elle la Roumanie ?
Le rôle de la DNA est de conduire des enquêtes en cas de suspicion de corruption. Nous appliquons la loi à tous, sans distinction. Le fait que des personnes importantes soient condamnées nous a attiré une grande confiance de la part des citoyen·ne·s roumain·e·s. Elles et ils sont de plus en plus nombreux·ses à saisir la DNA, et surtout elles.ils assument de nous soumettre des cas. C’est un grand changement. Des fonctionnaires viennent rapporter des tentatives de pots-de-vin, des employé.e.s dénoncent leur patron qui triche dans les contrats…
De grandes manifestations ont agité la Roumanie en début d’année, suite à la tentative du gouvernement de dépénaliser en catimini certains actes de corruption. Jusqu’à 500 000 personnes, au plus fort du mouvement, ont protesté. De nombreux slogans faisaient référence à la ténacité de la DNA. Avez-vous été surprise par l’ampleur de ce soulèvement ?
En tant que procureure, je ne peux pas commenter les manifestations. Il y a eu d’autres tentatives ces dernières années d’amender la loi pour modifier les outils que nous utilisons dans la lutte anticorruption. À chaque fois, il y a eu une réaction de la société civile. Cela n’arrivait pas il y a dix ou vingt ans. Cette mobilisation démontre une prise de conscience : la corruption est devenue un sujet très important dans notre pays.

La DNA compte 120 procureur·e·s chargé·e·s de mener cette lutte contre la corruption. Qui sont ces magistrat·e·s ? Quel est leur rythme de travail ?