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Reportage : La résistance des femmes libres [Turquie]

Le 16 avril, Erdoğan a annoncé la victoire du “oui” lors du référendum qui visait à instaurer un régime présidentiel en Turquie. Suite à des fraudes dénoncées par l’opposition, des manifestations ont eu lieu tous les soirs, pendant plus d’une semaine, dans différentes villes turques, contre ce résultat controversé.

La Turquie vit sous état d’urgence depuis le coup d’État manqué de juillet 2016. Des purges gigantesques ont lieu dans la fonction publique. Des milliers d’opposant·e·s sont envoyé·e·s derrière les barreaux. Confrontées également au retour de bâton islamo-conservateur du gouvernement sur les droits des femmes, des militantes de tous horizons refusent la dérive autocratique du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan.

Textes de Cerise Sudry-Le Dû
Photographies de Marie Tihon/Hans Lucas, sauf mention
Paru dans Femmes ici et ailleurs #21, septembre-octobre 2017

Lors de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2017, des milliers de femmes sont descendues sur l’avenue Istiklal, en plein cœur d’Istanbul, défiant l’état d’urgence décrété depuis la tentative de renversement du gouvernement de juillet 2016. Elles ont défilé aux cris de “Hayır Hayır Demektir” (“Non c’est non”) et de slogans féministes. Cette marche a également pointé du doigt la politique d’Erdoan et son projet de réforme constitutionnelle.

Elles sont des milliers en Turquie à porter le flambeau de la démocratie. Organisant réunions, débats, manifestations, groupes de travail, publiant sur les réseaux sociaux, se faisant lanceuses d’alerte, activistes ou résistantes, chacune à sa manière, les femmes luttent face à ce régime qui n’en finit plus de s’enfoncer dans l’obscurantisme.

Le mari de Yonca Verioğlu Şik, Ahmet Şik, travaillait pour Cumhuriyet, le quotidien emblème de la presse libre en Turquie. Il a été arrêté fin décembre 2016. Poursuivi pour “soutien à des organisations terroristes armées”, il comparaît avec seize autres journalistes de Cumhuriyet depuis le 24 juillet dernier. C’est la deuxième fois qu’Ahmet Şik se retrouve derrière les barreaux. “Je suis une habituée”, sourit Yonca Verioğlu Şik, impressionnante de dynamisme, positivité et ténacité.

Je ne sais pas si l’avenir du pays se jouera dans la rue, c’est devenu très difficile de protester aujourd’hui, la police est partout… Mais les femmes sont le futur de cette société. J’en suis sûre !”, estime Yonca Verioğlu Şik. Activiste, elle a souvent défilé contre le régime de celui qu’elle appelle le “dictateur” Erdoğan. Elle connaît par cœur les milieux militants, elle était des grandes protestations de 2013, au parc Gezi. Yonca Verioğlu Şik a rencontré son mari, le journaliste Ahmet Şik, du quotidien Cumhuriyet, alors qu’elle militait au sein de l’Association turque des droits humains (İnsan Hakları Derneği, IHD). Sa vie est désormais rythmée par les allers-retours hebdomadaires vers la prison de Silivri, à l’ouest d’Istanbul, où Ahmet Şik est incarcéré, depuis son arrestation, en décembre 2016.

En Turquie, les réseaux de femmes comptent parmi les mieux organisés du pays. Ici, les racines du féminisme sont anciennes. Le droit de vote a été accordé aux femmes en 1934, dix ans avant la France et la laïcité a été érigée en religion d’État par le “père” de la Turquie contemporaine, Mustapha Kemal Atatürk. Contrairement à certains pays européens, on y trouve des journaux écrits exclusivement par des femmes. Des associations féministes ont eu pendant longtemps une grande influence auprès des gouvernements successifs.

Les militantes de la plateforme Hayır Diyen Kadınlar (Les femmes disent non), dont fait partie Nimet Tanrıkulu, se réunissent dans le but de préparer des actions pour sensibiliser la population à voter non lors du référendum du 16 avril 2017 qui vise à élargir les pouvoirs du président Erdoğan.

Mais, malgré les textes de loi, malgré cette dynamique collective, être une femme a toujours été compliqué en Turquie. Il leur a toujours fallu résister contre un patriarcat très enraciné dans la population. Depuis près de quinze ans, et particulièrement depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016, ces militantes doivent également faire face aux dérives autoritaires du gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan, qui s’attaque aux libertés fondamentales et aux droits humains, en premier lieu ceux des femmes.

“Nous pourrions faire tellement pour les droits des femmes. Mais des événements nouveaux surviennent chaque jour. Parfois, on n’arrive plus à suivre. Beaucoup de mes ami·e·s, avocat·e·s ou journalistes, ont aussi été arrêté·e·s. Je n’ai pas le droit de leur rendre visite”, commente la parlementaire Filiz Kerestecioğlu, l’une des fondatrices de Mor çati, une des associations féministes les plus puissantes du pays. Cette femme de cinquante-six ans, turque, est députée du HDP (Halkların Demokratik Partisi, Parti démocratique des peuples), un des principaux partis d’opposition, qui milite, entre autres, pour la reconnaissance des droits des Kurdes.

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