Reportage : Kihnu, l’île des femmes [Estonie]

Au large du golfe de Riga, en Estonie, l’île de Kihnu est devenue un musée à ciel ouvert où le temps semble s’être arrêté. Le mérite revient aux femmes de l’île, véritables maîtresses des lieux, qui ont fait de leur culture un trésor à préserver.
Ce patrimoine vivant, reconnu par l’UNESCO, ouvre de nombreuses perspectives d’avenir.
Texte de Cécile Debarge
Paru dans Femmes ici et ailleurs #20, juillet-août 2017

À Tallinn, la capitale de l’Estonie, déjà, la légende bruissait. “Vous verrez, à Kihnu les femmes sont fortes. Ce sont elles qui gèrent tout”. En faisant route vers le golfe de Riga, le mythe s’épaissit. “C’est l’île des femmes, on les admire”, résume Kathlin, une Estonienne de vingt-sept ans venue passer l’été à Kihnu, dans sa belle-famille.

Et c’est vrai que les femmes sont partout ici. Les rares petits commerces de l’île — une supérette, une épicerie, deux bars-restaurants ouverts uniquement l’été — sont tenus par des femmes. Sur la moissonneuse-batteuse qui fait voler les épis jaunis, une grand-mère, engoncée dans son gilet de laine, manie l’engin à la perfection. La patronne de la petite boutique de souvenirs, remplie de gants tricotés main et de peintures naïves ? Une femme, encore. Tout comme la location de vélos, le musée de l’île, les responsables du centre culturel ou, lieu hautement stratégique, l’école. Le conseil municipal est composé d’une majorité de femmes, même si le maire est un homme.
Et c’est probablement le plus étonnant à Kihnu : l’espace public est quasi exclusivement féminin.
Où sont les hommes ? Quelques coups de pédale suffisent à s’éloigner du microscopique centre-ville pour se perdre dans la forêt. Certains sont là, tranquillement affairés à couler du béton entre deux éclats de rire pour réaliser une extension de la maison, à couper du bois. Femmes d’un côté, hommes de l’autre.
