Reportage : Les journalistes ukrainiennes, sur le front de l’info [Ukraine]
Propulsées sur le devant de la scène médiatique par la mobilisation de leurs confrères dans les rangs de l’armée, les journalistes ukrainiennes jouent un rôle crucial dans la couverture du plus important conflit armé sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Une fois passée l’effervescence des débuts, la guerre pourrait néanmoins faire peser des difficultés structurelles sur leur profession. Reportage.
Récit de Théophile Simon
Paru dans Femmes ici et ailleurs #51, septembre-octobre 2022

Lorsque les bombes russes déchirent le ciel glacé de Kyiv (Kiev en ukrainien), en ce matin du 24 février, Asami Terajima, 22 ans, se réveille aussi stupéfaite que terrifiée. “Comme la plupart des gens d’ici, je ne pensais pas que la Russie oserait envahir l’Ukraine ”, se souvient cette journaliste japonaise installée dans le pays avec ses parents depuis douze ans. Alors que l’armée de Vladimir Poutine fond sur la capitale, son père et sa mère, qui ont été évacués vers la Pologne quelques semaines plus tôt, multiplient les appels alarmés. “Ma mère, surtout, était paniquée. Je me suis focalisée sur mon travail. En tant que journaliste, j’avais une responsabilité : celle de raconter au monde ce qu’il se passait.”
Pour elle, alors en charge de la rubrique économique du Kyiv Independent, un petit site d’information en langue anglaise fondé quelques mois plus tôt, commence un gigantesque tourbillon. Son média, qui célébrait mi-février ses 30 000 abonné·es sur les réseaux sociaux, devient en quelques semaines l’une des références internationales sur la guerre en Ukraine et voit son audience exploser, atteignant plus de deux millions de personnes.
“Nous écrivions depuis les abris antiaériens, c’est complètement dingue ”, se rappelle Asami Terajima, qui assure que l’idée de fuir son pays de cœur ne lui a jamais traversé l’esprit. “Avant de venir en Ukraine, j’ai vécu en Russie entre mes six et dix ans et j’ai vu le mal que la propagande du Kremlin a fait à mes ami·es russes au fil des années, explique-t-elle. Alors j’ai voulu rester en Ukraine pour me battre sur le front de l’information.”

