Jihyun Park : Voix dissidente de Corée du Nord
Jihyun Park, réfugiée politique nord-coréenne, a attendu plus de dix ans avant de raconter son quotidien sous la dictature des Kim dans un livre-dialogue écrit à quatre mains avec une amie de Corée du Sud. Vivant à Londres, désormais journaliste et activiste pour les droits humains, Jihyun Park se bat pour faire entendre la voix de son peuple, en particulier celle des femmes.
Propos recueillis par Pierre-Yves Ginet
Paru dans Femmes ici et ailleurs #41, janvier-février 2021
Biographie express
Née en 1968 en Corée du Nord, Jihyun Park est réfugiée politique depuis 2008. Elle est directrice des opérations de sensibilisation de l’ONG Connect North Korea, basée à Londres, dont l’objectif est d’aider les réfugié·e·s politiques nord-coréen·ne·s à s’intégrer dans la société occidentale et diffuser leurs témoignages pour sensibiliser l’opinion publique internationale. Jihyun Park est également reporter pour Radio Free Asia et codirectrice de l’ONG Stepping Stones, qui agit auprès des enfants vulnérables à travers le monde. Elle relate ses années sous la dictature de la dynastie des Kim et sa fuite dans Deux Coréennes, livre-dialogue écrit avec la Sud-Coréenne Seh-lynn, paru en 2019 aux éditions Buchet Chastel. Jihyun Park a été récompensée du Prix des femmes asiatiques d’action (Asian Women of Achievement Awards) en 2018 et du Prix de la bravoure d’Amnesty International en 2020.

Vous avez publié l’an dernier un témoignage rare sur la Corée du Nord avec cet ouvrage, Deux Coréennes, que vous avez écrit avec la Sud-Coréenne Seh-lynn. Vous y racontez vos années de vie sous la dictature et votre fuite. Quelle est la situation aujourd’hui, en Corée du Nord ? Avez-vous des informations récentes ?
En 2014, la Commission des droits humains des Nations unies a publié son étude sur la Corée du Nord, qui énumère une liste de violations majeures, dont l’extermination de masse, les meurtres, les enlèvements, l’esclavage, la torture, l’emprisonnement sans raison, les viols, les avortements forcés et la famine orchestrée de la population. La commission a estimé que cette situation relevait d’une “politique initiée au plus haut niveau de l’État” et que la gravité ainsi que la nature de ces violations des droits humains sont le fait d’un “État qui n’a pas d’équivalent dans le monde contemporain”. Le document est basé sur les témoignages de trois cents personnes, dont je fais partie. La situation est sans doute pire aujourd’hui.

Dans votre livre, vous décrivez de nombreuses scènes du quotidien de terreur mis en place par le régime nord-coréen. Quelle situation illustre le mieux, selon vous, cette tyrannie ?
J’étais au lycée, l’approvisionnement en nourriture était déjà problématique. Un jour, tou·te·s les habitant·e·s de mon quartier ont été rassemblé·e·s par les forces de l’ordre. Les policiers ont amené un homme cagoulé près d’un arbre et ont tiré trois balles, une dans la tête, une dans le torse et une dans une jambe. D’après ce qui se disait, cette personne avait volé une vache. Nous ne sommes resté·e·s sur place qu’une quinzaine de minutes, en silence ; j’ai eu l’impression que cela durait des heures. Nous étions transi·e·s de peur. Je pensais qu’un jour je pourrais être à sa place, ou mon père, ou une amie. Cette exécution a été un traumatisme, mais nous n’en avons pas reparlé entre nous. Aujourd’hui, je me rends compte que ce genre de pratique n’a cours qu’en Corée du Nord.