Francia Marquez : Pour la Terre et les peuples [Colombie]
Dans un pays ravagé par des années de guerre, où les assassinats de militant·e·s des droits humains sont légion, Francia Marquez porte l’espoir de la minorité afrocolombienne. Cette communauté, principale victime du conflit armé, représente 10 % de la population nationale.
Propos recueillis par Sarah Nabli
Paru dans Femmes ici et ailleurs #20, juillet-août 2017
Biographie express
Née en 1981 dans un village de la région du Cauca, en Colombie, Francia Elena Marquez Mina se destinait à l’art et à la culture. Mère célibataire à seize ans, elle s’investit dans sa communauté, lorsque le gouvernement autorise des multinationales à exploiter des mines d’or, sur leurs terres, en 2009. Elle étudie alors le droit pour défendre les sien·ne·s. Suite aux menaces de mort des groupes paramilitaires, elle se réfugie à Cali en 2013. La jeune femme prend la tête du Mouvement des femmes noires pour le respect de la vie et des territoires ancestraux afrocolombiens du nord du Cauca en 2014. L’année dernière, elle participe aux négociations de paix à La Havane entre le gouvernement et les FARC. En 2015, elle s’est vu décerner le Prix national de défense des droits humains pour son engagement en faveur des Afrocolombien·ne·s, principales victimes du conflit armé. Francia Marquez termine actuellement sa thèse de droit. Elle souhaite devenir avocate.

Vous êtes aujourd’hui l’une des principales figures de la lutte des Afrocolombien·ne·s. Quelles ont été les raisons de votre engagement ?
Je suis née et j’ai grandi dans un territoire où vivent les Afrocolombien·ne·s depuis bien longtemps. Mes ancêtres esclaves ont fui les Conquistadors et s’y sont installé·e·s en 1636. Avec mes parents, nous vivions de l’artisanat, de l’exploitation familiale des mines d’or, de l’agriculture et de la pêche. Je me destinais à une vie tranquille. J’adorais danser et chanter. J’aidais ma famille aux mines et à la culture de la terre. J’étais insouciante… En 2002, des groupes paramilitaires se sont installés sur notre territoire. Ils ont commencé à instaurer la terreur. Ensuite, des multinationales comme AngloGold Ashanti sont arrivées pour exploiter les mines à grande échelle. En 2009, le gouvernement leur a donné les autorisations d’exploitation sans consultation préalable et nous a demandé de partir !
Nous avons lutté en menant une “action de tutelle” : un mécanisme juridique prévu par la Constitution de 1991 lorsque les droits fondamentaux des personnes sont bafoués. La Cour constitutionnelle a reconnu nos droits et a ordonné la suspension de toutes les autorisations d’exploitations minières. C’est à partir de là que j’ai commencé à recevoir des menaces de mort, contre moi, mais aussi contre mes enfants… Et l’exploitation illégale a continué, avec la complicité de l’État, qui ne fait rien.
Quels sont les impacts des mines illégales en Colombie ?
L’or est l’un des moteurs de l’économie de notre pays. Mais sur les cinquante tonnes de métal produites chaque année, 88 % proviennent de mines illégales. Ce trafic finance les groupes paramilitaires et ravage la nature. Pour extraire l’or, les compagnies minières utilisent du mercure et du cyanure qui vont directement dans nos fleuves. C’est une catastrophe environnementale et humanitaire quotidienne. Car nous utilisons ces eaux pour vivre, boire, cultiver nos terres, pour la pêche aussi. Ils détruisent notre Madre Tierra. Cela a un impact sur notre santé. Nous n’avons pas les moyens de payer des études scientifiques, mais nous le sentons dans nos corps, nous sommes contaminé·e·s. Des enfants naissent avec des malformations !

Vous avez pris la tête du Mouvement des femmes noires pour le respect de la vie et des territoires ancestraux afrocolombiens du nord du Cauca. Quelles ont été vos actions ?