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Reportage : Covid-19, les indispensables [France]

Elles ont été en première ligne face à la pandémie, depuis les foyers confinés où elles assuraient l’essentiel des tâches domestiques et parentales jusqu’aux hôpitaux, maisons de retraite et supermarchés. La crise sanitaire a mis en lumière le travail des femmes, aussi indispensable pour la survie de nos sociétés qu’encore et toujours dévalorisé. Les solutions pour un monde d’après plus égalitaire existent. Reste à les mettre en œuvre.

Texte de Lena Bjurström – collectif Focus
Photos de Florence Brochoire

Paru dans Femmes ici et ailleurs #38, juillet-août 2020 

Ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes”, déclarait Christiane Taubira, au micro de France Inter le 13 avril. Rien de neuf, rappelait l’ancienne garde des Sceaux : “Depuis longtemps, presque depuis toujours, ce sont les femmes qui portent les métiers de soin, le soin en général, dans sa conception la plus large.” Incluant de nombreuses professions de l’entretien, du lien social. Selon l’Insee, les femmes représentent en France 90 % des aides-soignant·e·s, 87 % des infirmier·ère·s, la quasi-totalité des auxiliaires de vie, mais aussi 90 % des caissier·ère·s, 70 % des agent·e·s d’entretien, 84 % des enseignant·e·s de premier degré…

Par son ampleur inédite, la crise sanitaire a jeté une lumière crue sur une réalité que pourtant nul·le ne pouvait nier. Tandis que dans les foyers confinés, les femmes prenaient toujours en charge la majorité des tâches ménagères et parentales, jonglant avec les heures d’un marathon quotidien (lire l’encadré p. 36), des milliers d’entre elles assuraient au quotidien des missions dont nous avions oublié l’importance, aussi essentielles pourtant que la santé, l’hygiène, l’alimentation, le secours aux personnes fragiles et vulnérables, l’éducation. Et, penchée aux fenêtres, aux balcons, au-dessus des rues désertées, la population française redécouvrait à quel point leur travail était vital à sa propre survie.

Isabelle Privé, 45 ans, institutrice de CE1 : Habituellement, l’école accueille 180 enfants. Pendant le confinement, nous avons continué de scolariser les enfants de soignant·e·s, la capacité d’accueil maximale était de dix élèves. Toutes les enseignantes de l’école se sont spontanément portées volontaires, quatre ont été retenues. Le 14 juin, nous avons appris la reprise de l’école obligatoire pour l’ensemble des élèves en même temps que tout le monde, lors du discours d’Emmanuel Macron. Ces protocoles qui se sont succédé m’agacent, mais je suis très contente de retrouver mes élèves et soulagée pour les parents qui travaillent. Je pense que c’est bénéfique pour certains enfants de reprendre un rythme et de se retrouver ensemble. De terminer une année presque normalement va leur faire du bien, et à nous aussi.

Une vulnérabilité collective

Le confinement a eu un effet de révélateur, assure Sandra Laugier, maîtresse de conférence en philosophie à l’université Paris 1. De la même façon qu’il a pu souligner l’inégale répartition des tâches au sein des foyers – chaque conjoint·e étant à la maison –, il a sorti certains métiers de l’invisibilité où ils étaient jusqu’à présent cantonnés. Tout simplement parce que ces personnes étaient les seules à sortir travailler.” En temps “ordinaire”, notre société “oublie” presque leur existence, estime la philosophe : “Certains de ces métiers sont liés à des domaines que nous préférons ignorer, que l’on considère comme sales (les déchets) ou qui nous renvoient à notre propre fragilité comme la maladie, la vieillesse… Et de manière générale, nous refusons de voir à quel point nous sommes codépendant·e·s. Cette crise nous a fait redécouvrir notre vulnérabilité collective. Nous dépendons des autres, et de ces métiers en particulier, qui ne se situent pas très haut, voire en bas, de la hiérarchie sociale. Et qui sont majoritairement exercés par des femmes.

Aides-soignant·e·s, infirmier·ère·s, caissier·ère·s, agent·e·s d’entretien, enseignant·e·s d’écoles, aides à domicile… Si la rémunération et le prestige de ces professions varient, toutes sont féminisées à l’extrême et peu valorisées tant économiquement que socialement. Ces deux constats sont liés, explique l’économiste Rachel Silvera. “Ces métiers se sont construits dans le prolongement des rôles assignés aux femmes : soigner, éduquer, nettoyer, coordonner, assister, être disponible pour autrui, patiente… Ces tâches seraient ‘naturellement’ dévolues aux femmes car faisant appel à des qualités féminines ‘innées’ et non pas à des compétences acquises qui justifieraient un salaire plus important.” Certains “sales boulots” aux salaires de misère sont historiquement dévolus aux femmes des classes populaires, car vus comme ne demandant ni force physique ni savoir-faire professionnels spécifiques (ce qui est bien sûr parfaitement faux), puisqu’ils ne seraient que le prolongement d’une vie de femme : ménage, garde d’enfants…

Pas les mêmes métiers, pas la même valeur

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