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Reportage : Citad’elles, au-delà des barreaux [France]

Interviews exclusives, débats, enquêtes, tranches de vie, dossiers d’actualité, rubriques droit, santé, cuisine, culture… Depuis plus de six ans, la revue Citad’elles raconte le monde au fil de ses pages. Pourtant ses rédactrices ne peuvent ni se déplacer, ni téléphoner, ni même utiliser internet. Car Citad’elles est entièrement réalisé par des détenues de la prison de Rennes, textes et images. En construisant chaque numéro, elles se reconstruisent.

Texte de Virginie de Rocquigny
Photographies de Laurent Guizard
Paru dans Femmes ici et ailleurs #31, mai-juin 2019

C’est une conférence de rédaction comme une autre. Autour d’une large table rectangulaire, une dizaine de personnes et des idées qui fusent : une enquête sur les hommes en couple avec des femmes plus âgées, un article sur l’association Handi’chiens et son rôle auprès des jeunes autistes, un tour d’horizon des conditions carcérales dans le monde, une interview beauté de l’animatrice de télévision Cristina Córdula, un témoignage sur les violences conjugales… Chacune attend fébrilement son tour et espère convaincre. Certaines ont beaucoup d’idées. D’autres n’ont rien à proposer. Il y en a une qui râle encore et toujours. Une autre qui arrive en retard. On s’engueule un peu. On rit beaucoup et très fort. On s’écoute avec attention, malgré quelques messes basses en aparté. Des idées naissent au fil des échanges, d’autres tombent à l’eau. Sur un grand tableau blanc grandit la liste des sujets potentiels, esquissant ce qui pourrait être le sommaire d’une revue à paraître trois mois plus tard.

Sylvie, sourde profonde de naissance, est toujours accompagnée aux ateliers Citad’elles par Béatrice Le Cointe-Magny, travailleuse sociale bilingue (à gauche), très investie dans ce projet.

C’est une conférence de rédaction comme une autre et pourtant elle est unique en France. Nous sommes dans la plus grande prison pour femmes de l’Hexagone, à Rennes. Le magazine qui prend forme ce jour-là s’intitule Citad’elles. Sa baseline − “le féminin sans barreaux” − rappelle sa particularité : Citad’elles est une revue indépendante, entièrement écrite et illustrée par des femmes condamnées à de longues peines. Elles sont accompagnées par un collectif de journalistes, de graphistes et d’illustrateurs, les Établissements Bollec, collectif crée en 2005 qui s’appuie sur les principes de l’éducation populaire. Citad’elles se distingue des autres publications fabriquées en prison par son exigence éditoriale, avec des articles informés, fouillés et nourris sur des sujets qu’on ne lit nulle part ailleurs. Bien loin d’un simple écho de la vie carcérale, Citad’elles produit des informations souvent inédites. À l’occasion d’un sujet sur les inégalités femmes-hommes en prison, l’équipe a sollicité la Garde des Sceaux. Nicole Belloubet a non seulement répondu favorablement, mais elle s’est déplacée jusqu’au centre pénitentiaire rennais. Un rendez-vous qui a donné lieu à un entretien exclusif publié dans Citad’elles.

Sophie était angoissée avant sa première interview pour Citad’elles. Elle est heureuse de rentrer dans sa cellule avec ses notes à relire et à travailler.

Le 18e numéro doit paraître à la veille de Noël, mais en ce jour ensoleillé de septembre, tout reste à faire. “N’oubliez pas qu’il n’y a pas de mauvaise idée”, rappelle Audrey Guiller, journaliste et responsable des ateliers d’écriture depuis le début de l’aventure, en 2012. En conférence de rédaction, elle ne ménage pas ses efforts pour inciter l’équipe de rédactrices à voir grand : “Nous partons du principe que tout est possible. Prenez comme point de départ ce qui vous énerve, ce qui vous enthousiasme, mais aussi les expériences que vous avez envie de vivre !

60 % des détenues travaillent

Charlotte* participe pour la toute première fois à cette conférence de rédaction. Une voisine de cellule, Barbara*, lui a parlé de la revue et donné l’envie de participer. Elle a vingt et un ans, des bracelets brésiliens noués au poignet et des yeux bleus tout ronds, un peu las, qui s’illuminent soudain à l’idée de rencontrer Cristina Córdula, star de M6. “C’est la classe franchement !” Assise à côté d’elle, Barbara a un emploi du temps chargé. Comme 60 % des femmes incarcérées au centre de détention rennais, elle travaille. La plupart sont affectées aux ateliers où elles réalisent, à la chaîne, les pantalons d’uniforme des surveillant·e·s de prison de la France entière. Certaines sont employées aux services généraux, comme les cuisines. Une plate-forme de téléconseil embauche également quelques détenues. Leur salaire oscille entre 300 et 800 euros net par mois, bien loin d’un Smic. Une source de colère et de découragement, qui a d’ailleurs donné lieu à un dossier dans le numéro quatorze de Citad’elles.

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