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Reportage : Les Cholitas se hissent sur le devant de la scène [Bolivie]

Des générations de Cholitas ont été stigmatisées, car indigènes, femmes et pauvres. À force de persévérance, elles ont conquis leur place dans la société bolivienne, investissent tous les secteurs de l’économie, revendiquent leur identité et leur indépendance. Désormais, la Cholita est devenue un symbole de la Bolivie. Et leur émancipation, un modèle pour les Boliviennes et les peuples indigènes.

Texte et photographies de Delphine Blast (sauf mention)
Paru dans Femmes ici et ailleurs #28, novembre-décembre 2018

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Une jeune Cholita regarde la ville de La Paz du haut d’une cabine du téléphérique de la ville, qui relie la capitale bolivienne à El Alto, à l’ouest, ville populaire située à plus de 4 000 mètres d’altitude où vit une importante communauté aymara.

On les remarque partout. Dans les rues de La Paz, portant crânement leur tenue traditionnelle, mais aussi à la télévision, dans la mode, le sport, les services publics, les syndicats, la politique… Les voici choisies pour la campagne de publicité des transports en commun de la capitale bolivienne, l’emblème de la compagnie épinglée sur leur fameux chapeau melon. Les voilà inscrites en 2013 au patrimoine de la ville de La Paz. Les Cholitas sont devenues la fierté de la Bolivie. Inimaginable il y a encore moins d’une génération. Car, derrière la gaîté des couleurs de leurs vêtements, sont écrites l’histoire d’une communauté longtemps méprisée et la ténacité de ces femmes pour faire reconnaître leur identité et leurs droits.

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Deux jeunes Cholitas dans la mine d’étain de Viloco, en Bolivie, aux environs de 1930. Ces peuples indigènes, issus de milieux très pauvres, vivaient surtout dans des zones rurales. DR

À l’origine, le terme Chola ou son surnom Cholita (littéralement “petite Chola”) est une insulte. Il a été inventé par les Espagnol·e·s pour désigner les femmes d’origine quechua et aymara, peuples indigènes et ruraux que l’on pensait destinés à s’éteindre. Après les révoltes indiennes de 1780, les autorités colonisatrices ont interdit les tissages traditionnels andins pour imposer aux femmes le port d’un large châle et une jupe longue, la pollera, en usage à l’époque dans les quartiers populaires de Madrid. Ainsi, ces Boliviennes se sont retrouvées vêtues à la mode espagnole… “La Cholita est l’expression la plus parfaite du métissage bolivien”, souligne l’anthropologue Freddy Luis Maidana Rodriguez, dans Les Boliviens rebelles, de Frédéric Faux.

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Glenda Yañez, figure de proue de la culture cholita, fait ses courses dans un magasin Hypermaxi dans le centre de La Paz.

Un nouveau regard sur elles

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Une Cholita marche devant un graffiti, près de la gare centrale de La Paz. Ces femmes sont connues pour leur indépendance et leur forte capacité de travail.

Au 19e siècle, de nombreuses Cholitas migrent vers la ville dans l’espoir d’un meilleur avenir. L’ascension sociale y est difficile. Elles sont reléguées dans les rôles de domestiques ou de vendeuses sur les marchés. C’est au cours du 20e siècle que l’image des Cholitas change. “Les femmes portant la pollera dans la classe ouvrière, organisées dans la Federación Obrera Feminina (Fédération ouvrière féminine), s’imposent dans l’espace public lors de grandes manifestations, revendiquant l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Face à la proposition d’un État moderne et à un discours nationaliste (1952) qui impose ‘une culture identitaire homogène dans laquelle priment certaines représentations de la femme et du corps maternel”, la pollera devient “un symbole visible de résistance qui illustre la lutte quotidienne de l’Indienne et de la Chola qui a délibérément refusé d’être refaçonnée’. Ces femmes continuent donc de porter la pollera et n’adoptent pas la mode vestimentaire occidentale, alors que l’idée de progrès impose à cette époque l’effacement de tout signe d’indianité”, écrit l’anthropologue Laura Fléty dans son article “Jeux du corps et jeux identitaires chez les Cholas”, en 2011, dans la revue Civilisations, citant le travail de Maria Stephenson (Gender and Modernity in Andean Bolivia).
Apparaissent ensuite des personnages forts de la culture indigène, comme Remedios Loza qui en 1962, fut la première Cholita à animer une émission de radio, Sabor a Tierra, où elle donna la parole à sa communauté. Une autre vague émerge dans les années 1980, avec des revendications pour les droits des femmes et des indigènes. En 1984, la RTP (Radio Télévision Popular), est la première chaîne nationale bolivienne à donner la parole aux indigènes avec ce leitmotiv : “écouter et donner une voix aux sans-voix”. Cette évolution s’illustre aussi à travers la création du parti politique “Conscience de la Patrie” (CONDEPA) fondé en 1988 et très fortement soutenu par la population chola aymara. En 1989, Remedios Loza sera la première femme chola élue à la Chambre des député·e·s et, en 1997, la première Bolivienne à se présenter à la présidence du pays.

Le mouvement de fond est ainsi nettement antérieur à l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2006, premier président de mère aymara de l’histoire du pays. Il avait fait de la reconnaissance des Améridien·ne·s un des fers de lance de sa campagne électorale, puis de son action gouvernementale. Si le regard porté sur les Cholitas et, plus généralement, les conditions de vie des peuples indigènes se sont améliorés, s’en tenir à cette seule explication est réducteur et oublie la part majeure apportée par les Cholitas elles-mêmes dans cette (re)conquête.

Aujourd’hui têtes d’affiche

cholitas bolivie communauté Gloria Campos Ramirez Wislla Popular
Gloria Campos Ramirez, coprésentatrice de La Wislla Popular, l’émission de cuisine la plus regardée du pays. Elle est également créatrice de mode, en particulier de mantas, de très beaux châles traditionnels brodés.

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