Chimamanda Ngozi Adichie : Conteuse engagée et universelle [Nigéria]
L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, célèbre pour son roman best-seller Americanah, a également signé Chère Ijeawele, remarquable guide pratique pour une éducation égalitaire des enfants. Grande figure internationale de l’égalité femmes‑hommes, elle était l’invitée d’honneur de la troisième Nuit des idées, à Paris, en janvier dernier. Extraits.
Propos traduits par Fanny Essiyé
Paru dans Femmes ici et ailleurs #25, mai-juin 2018
Biographie express
Chimamanda Ngozi Adichie est née à Enugu, au Nigéria, en 1977. Après un master de création littéraire à la prestigieuse école de John-Hopkins à Baltimore, elle publie son premier roman L’Hibiscus pourpre en 2003, qui est acclamé par la critique. L’Autre Moitié du Soleil, son deuxième roman, lui fait décrocher le Orange Prize for Fiction en 2007. Son essai Nous sommes tous des féministes a également reçu un accueil enthousiaste, il a notamment été distribué à l’ensemble des lycéen·ne·s suédois·es.
Americanah, le troisième roman de Chimamanda Ngozi Adichie est son plus gros succès : traduit en vingt-cinq langues, il s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires et va être adapté en mini-série TV par le tandem Lupita Nyong’o (Twelve years a slave, Black Panther) et Danai Gurira (Walking dead, Black Panther, Avengers). L’autrice a également donné plusieurs TEDx, des conférences où elle défend ses engagements féministes et antiracistes. Son dernier livre Chère Ijeawele : un manifeste pour une éducation féministe est sorti en mars 2017 aux éditions Gallimard.

Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir autrice ? Est-ce parce que vous vouliez témoigner de ce qui se passe dans votre pays ?
J’ai du mal à me souvenir d’un moment où je n’ai pas voulu écrire. J’aime à penser que c’est un don qui m’a été offert par mes ancêtres. Je suis une conteuse d’histoire qui observe le monde et s’intéresse aux petits détails, aux nuances de la vie. Cependant, j’ai aussi envie d’écrire des histoires que je n’ai pas vécues.
Quels ont été les livres les plus importants pour vous, dans votre enfance ?
L’Enfant noir, de Camara Laye, est le livre qui a changé ma façon de voir. Ensuite, l’œuvre de Chinua Achebe a été très importante. À ce moment-là, j’ai commencé à lire de la littérature africaine pour jeunes adultes qui m’a permis de découvrir les réalités d’autres pays africains. Je viens d’une tradition d’écrivain·e·s africain·e·s et ma culture igbo a forgé ma manière de raconter des histoires. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce au travail des générations qui m’ont précédée.
J’ai grandi en lisant des textes d’écrivain·e·s de tous les horizons, de Russie ou d’Asie du Sud-Est, par exemple. Dans tous ces livres, je comprenais les personnages, même si j’étais différente d’eux. De la même manière, je n’ai jamais pensé que mon travail pourrait être autre chose qu’universel.
Il est nécessaire de donner la même place et la même valeur à la littérature africaine qu’à des littératures qui viennent d’autres endroits du monde. Pourtant, dans certains cercles littéraires, on lit la littérature africaine comme de l’anthropologie et non pas pour ce qu’elle est : de la littérature, point.
Pensez-vous que le rôle d’un·e écrivain·e est aussi de changer les mentalités ? Et pensez-vous qu’elles et ils ont ce pouvoir ?
Oui, les écrivain·e·s ont ce pouvoir. Les mots comptent et peuvent faire changer le monde. Ils ont eu un impact sur ma vie, mes lectures m’ont permis de m’ouvrir l’esprit, de remettre en cause des certitudes, modifier ma manière de penser. Raconter une histoire est important pour créer du lien entre nous, pour reconnaître l’humanité des personnes, par exemple dans des politiques publiques qui vont les concerner. Prenons par exemple dans des politiques publiques qui vont les concerner.
Prenons les discours sur les migrant·e·s et les réfugié·e·s. La manière dont on parle de ces personnes est tellement déshumanisante ! Je pense que si nous racontions l’histoire de leurs vies, si nous décidions de prendre en compte cette histoire, les lois qui les concernent seraient bien différentes : nous serions obligé·e·s de comprendre qu’elles et ils sont nos semblables. Ce n’est que le hasard de notre naissance qui fait que nous sommes ou non des réfugié·e·s, des personnes qui recherchent juste une vie meilleure.