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Catherine Beaunez, dessinatrice de presse féministe et engagée

Au sein du Club Femmes ici et ailleurs, nous avons la chance de compter des personnalités exceptionnelles, agissant dans des domaines très divers, en France et bien au-delà de nos frontières. 

Catherine Beaunez, née en 1953, a toujours été dessinatrice de presse. Façonnée par l’envie de faire passer des messages avec son trait si reconnaissable, elle se faufile dans les rédactions de Charlie Hebdo, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Libération ou encore L’Humanité. Malgré le “club d’hommes” que représentait à l’époque le monde fermé du dessin de presse, elle se fraie une place et défend avec ferveur l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle dénonce, non sans humour bien au contraire, les violences sexistes qui existaient au début de sa carrière et qui perdurent encore aujourd’hui. Entretien avec une figure féminine et féministe du dessin de presse contemporain.

Propos recueillis par Romane Guigue

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© Anaël Barrière

Vous considérez-vous comme une dessinatrice féministe ?

Au départ de ma carrière, je ne l’étais pas forcément. Je m’exprimais en tant que femme qui fait rire, mais j’étais, mes collègues dessinatrices aussi, sans cesse confrontée à des chefs qui ne comprenaient pas mon point de vue parce qu’ils n’étaient absolument pas conscients de leur propre machisme. Le dessin, c’était un club d’hommes. Pris à part, ils étaient tous plutôt sympathiques, mais ensemble, c’était bien différent.
J’ai fini par comprendre avec le temps qu’il fallait que je sois plus engagée. Ça n’a pas été une décision évidente puisque mon engagement n’a pas été du goût de tout mon public. Pendant longtemps, je pensais que seuls les journaux savaient vraiment ce que je valais, mais j’ai vécu, j’ai du recul sur ma carrière et je me rends compte de quoi je suis capable et de ce que vaut mon travail.

Avez-vous été déjà été confrontée à de la censure de la part d’un journal ?

C’était plus une censure disons cachée, on me disait que mon style était “trop BD”, ou bien que le journal ne pourrait plus me payer en salaire… Mais je n’ai jamais été censurée de manière frontale. En revanche, j’ai déjà été confrontée à des échecs, peut-être parce que j’étais trop avant-gardiste ? Par exemple, mon livre On les aura ! (Editions Au diable Vauvert, 2000) qui rassemble 100 dessins au sujet des relations femmes-hommes en politique, n’a pas du tout fonctionné à sa sortie. Aujourd’hui, après le mouvement #MeToo, il se vend enfin.

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© Catherine Beaunez

Vous êtes dessinatrice de presse depuis presque 50 ans maintenant, qu’est-ce qui a changé pour les dessinatrices de presse ? 

Quand j’ai commencé, il n’y avait pas beaucoup de femmes dans ce milieu, nous étions deux ou trois, à peine 1 %. Elles sont un peu plus nombreuses aujourd’hui, notamment en politique et c’est très bien. Pour ma part, je me suis mise à la politique simplement parce que je considérais que je pouvais le faire. C’est un moyen de faire passer des idées féministes autrement. Et je garde espoir pour ce combat parce que je constate qu’il y a de plus en plus de femmes qui s’investissent, qui sont ouvertement féministes. En revanche, il y a de moins en moins de dessins dans la presse… Moi, j’aime bien provoquer un peu, être un peu comme le poil à gratter. Et je trouve qu’aujourd’hui, les journaux sont plus frileux lorsqu’il s’agit de publier des dessins “choc”. Ils ont peur de perdre le peu de lectorat qu’il leur reste.

Quel avenir voyez-vous au dessin de presse ? 

Les attaques envers Charlie Hebdo ont beaucoup divisé. Mais je garde toujours malgré tout une lueur d’espoir. J’ai eu l’occasion de présenter mon métier à des classes de collège et je leur ai demandé de réaliser des dessins de presse. J’ai été impressionnée parce que j’ai réalisé que certains dessins auraient pu être publiés tels quels. Certain·es élèves étaient vraiment talentueux·ses et ont parfaitement capté l’esprit du dessin de presse. Le dessin de presse est un vecteur idéal pour exprimer une ou plusieurs idées en même temps. Le problème, c’est que le public, en général, perd ses capacités de lecture et de recul. Je me dis que dessiner, c’est trouver une formule mathématique, presque une alchimie pour faire passer des idées contradictoires : avec le rire, il est possible de dénoncer beaucoup de choses. Nous dessinateurs et dessinatrices de presse voulons faire passer des messages, et faire perdurer notre métier.

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© Catherine Beaunez
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© Kak

Cartooning for Peace, association internationale pour la liberté des dessins de presse 

Cartooning for Peace se mobilise depuis 2006 pour créer et maintenir actif un réseau international de dessinateurs et dessinatrices de presse. Représentée par plus de 250 membres à travers 70 pays, l’association organise régulièrement des expositions ou des ateliers à destination de tous les publics, pour expliquer l’intérêt du dessin de presse, dont l’avenir est largement compromis dans certaines régions du monde. Kak, président de l’association depuis 2018, s’exprime au sujet du dessin de presse : “C’est un art menacé, en voie d’extinction, mais je suis tout de même optimiste. En France par exemple, le dessin de presse continue d’exister dans de nombreux titres. Et le fait qu’un nouvel hebdomadaire comme Franc-Tireur décide même de faire sa Une avec un dessin de presse est encourageant. Certes, les tensions existent, et elles sont inquiétantes, mais il faut continuer d’expliquer la nécessité du dessin de presse, qui est une pratique vitale pour la démocratie, qui questionne l’information, moque les puissants et éveille l’esprit critique. Le mieux qu’il puisse arriver, c’est que les rédactions continuent de nous soutenir en publiant, toujours, les oeuvres des dessinateurs et dessinatrices de presse.« 

En mars 2020, Cartooning for Peace publiait un ouvrage de 120 dessins de presse recueillis depuis les quatre coins du monde. En avant toutes ! revient sur le combat des femmes pour l’égalité et brosse le portrait d’un monde après le mouvement #MeToo.
Avec une cartoonothèque de plus de 29 000 dessins, Cartooning for Peace réalise des expositions partout en France et dans le monde. À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Cartooning for Peace a présenté l’exposition “Cartooning for Women” dans l’espace public de la ville d’Angers.

Femmes ici et ailleurs est partenaire de Cartooning for Peace. Dans chaque numéro, à la rubrique Coup de crayon, retrouvez le portrait d’une dessinatrice de presse membre de l’association.