Anne Pastor : La voix des femmes autochtones
Au sein du Club Femmes ici et ailleurs, nous avons la chance de compter des personnalités exceptionnelles, agissant dans des domaines très divers, en France et bien au-delà de nos frontières.
Anne Pastor a fondé ”En terre Indigène” qui a pour objectif est de valoriser la parole des peuples autochtones, en particulier des femmes. À l’origine de nombreux documentaires radiophoniques, elle prépare de nouveaux projets dont un podcast et une conférence qui verront le jour à la fin du mois de mai.
Propos recueillis par Emma Gomez, Femmes ici et ailleurs

Quel est votre parcours ?
Je suis journaliste de formation, grand reporter et documentariste. Je me suis intéressée aux peuples autochtones suite à ma rencontre, en 2003, avec Philippe Descola (anthropologue français connu pour ses recherches de terrain en Amazonie équatorienne, NDLR). Après les avoir rencontrés une première fois, je n’ai eu de cesse de vouloir les rencontrer de nouveau. Depuis 2011, je me consacre exclusivement à travailler avec ces peuples autochtones dans le cadre de la série ”Voyages en terre indigène” sur France inter , pour laquelle j’ai déjà réalisé une soixantaine de documentaires. Je donne la parole à des personnes peu entendues, qui agissent différemment, que ce soit dans le domaine de l’écologie, de l’éducation, des violences faites aux femmes, de la justice. Ils et elles sont extrêmement précurseurs, c’est un laboratoire d’idées pour demain.
Vous êtes également la créatrice de la plateforme ”La voix des femmes autochtones”. Comment ce projet est-il né ?
Dans les communautés autochtones, les femmes sont souvent aujourd’hui aux avant-postes : elles sont en charge de la culture, de la langue, c’est une nouvelle génération de femmes activistes. Il y a trois ans, avec le soutien de la fondation CHANEL, j’ai créé la plateforme documentaire ”La voix des femmes autochtones”, pour mettre en lumière ces femmes exemplaires. On y trouve trente portraits de femmes, réalisés dans quinze pays différents, fruit de quinze ans de travail et des mois d’enquête et de travail journalistique. J’étais à la recherche de femmes ayant mis en place des actions et initiatives pouvant être inspirantes pour toutes les femmes du monde. Nous proposons aussi un blog, quatre-vingts modules vidéo et sonores et cinq webdocumentaires.
Vous lancez le 30 mai dans le cadre du festival Génération Egalités/ONU Femmes une série de podcast sur la nouvelle génération des écoféministes autochtones…
Samai Gualinga, Kichwa d’Équateur, moins de 30 ans, fille d’une grande lignée de résistant·e·s, utilise l’arme de la technologie et des réseaux sociaux pour que sa communauté résiste. Hindou Oumarou Ibrahim, qui a créé une association pour défendre les femmes peules du Tchad contre les mariages forcés, l’excision… Elle a mis en place des ateliers de savoir, de transmission, au sein même des campements nomades, autour de l’environnement. Elle est la représentante des peuples autochtones d’Afrique et conseillère à l’ONU.
Quel regard ces femmes portent-elles sur l’écoféminisme ?
Elles vivent en harmonie avec la nature depuis toujours. Elles l’ont verbalisée, conceptualisée, ”à la demande” du monde occidental. Ces femmes ont toujours vécu ainsi, rien n’a pas changé pour elles, si ce n’est qu’aujourd’hui, les instances gouvernementales et internationales les écoutent et les entendent. Elles participent à des conférences, font du plaidoyer, pour porter la voix de ces expertes du terrain, qui alertent depuis trente ans sur ce qu’il se passe.
De même Vous lancez le 30 mai une série de podcasts ”La voix de la résilience”. Quel a été l’élément déclencheur de ce podcast ?
En juillet 2019, j’ai rencontré au Rwanda, Godelieve Mukasarasi, survivante du génocide, pendant lequel ont été tuées plus d’un million de personnes et violentées entre 300 000 et 500 000 femmes (viols collectifs, mutilations), en seulement trois mois. Dès la fin du génocide, en 1994, elle a créé une association pour venir en aide aux veuves et aux survivantes. J’ai rencontré ces femmes, pleines d’espoir et d’humanité, qui sont un modèle de résilience. Après un gros travail de préparation psychologique, nous avons créé une série de quatorze capsules de témoignages, que nous diffuserons sur notre chaîne de podcasts. Nous avons pour projet de créer une sorte d’outil thérapeutique, à partir de la parole de ces femmes, pour les femmes victimes de violences extrêmes en Afrique subsaharienne, grâce à la culture orale. Cette série de podcast s’inscrit dans le cadre du festival Génération Egalités/ONU Femmes et présentera des portraits de jeunes femmes nées des viols.

Quels sont vos projets pour la suite ?
Nous allons développer deux axes de travail : les missions éducatives, en priorité en direction des jeunes autochtones, sur la question des identités, avec notamment un gros projet à Mayotte et à la Réunion. Je vais aussi réaliser un travail avec les Amérindiennes de Guyane. À la demande d’associations, nous utilisons l’outil radiophonique comme un outil thérapeutique et de réappropriation de soi. Nous proposons aux femmes de réaliser un podcast qui leur ressemble. Cela a été le cas en aout 2021, avec les femmes du foyer de femmes victimes de violence, à Papeete, en Polynésie française. Nous avons également des projets avec des associations de femmes Sans Domicile Fixe. J’ai réalisé également un documentaire avec la maison des solidarités de Confolens. Les femmes s’interviewent entre elles et se réapproprient leur histoire grâce à l’outil radiophonique, c’est une parole très puissante, belle et authentique. Elles sont fières parler de ce que peut ressentir une femme battue, sans le prisme d’une personne extérieure. Nous préparons également une grande exposition photo qui offrira un regard croisé entre les photographes autochtones et allochtones. Par ailleurs, j’ai animé le 7 mai un événement organisé par le département scientifique du musée du Quai Branly : une table ronde avec la grande poétesse innue Joséphine Bacon et Kim O’bomsawin, cinéaste qui vient de réaliser un film magnifique, lauréat de nombreux prix, Je m’appelle humain.