Santé : Allô maman boulot bobos
Maçons et terrassiers ne sont pas les seuls à se démolir le dos au travail. Les femmes sont en réalité les premières affectées par les troubles musculo-squelettiques liés à leur emploi. D’autant plus que leurs difficultés restent encore trop souvent invisibles et incomprises.
Texte de Muriel Salle, maîtresse de conférence, experte Femmes et santé
Publié dans Femmes ici et ailleurs #46, novembre-décembre 2021
Voilà une épidémie qui ne fait pas parler d’elle, et pourtant… Les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont, de très loin, la première maladie professionnelle en France. Dos, cou, épaules, poignets et genoux douloureux sont les symptômes divers de “maladies auxquelles l’environnement de travail et la réalisation du travail contribuent de manière significative”, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé. Les premières concernées sont les femmes : elles sont à la fois plus souvent touchées que les hommes et les séquelles qu’elles conservent sont plus graves1. Pourquoi cette surexposition ? Les facteurs physiques ne suffisent pas pour la comprendre. Les TMS fonctionnent en effet comme un miroir grossissant de l’inadaptation du monde du travail aux femmes, dans les activités qu’elles occupent majoritairement.
Des troubles multifactoriels, repérés trop tard
La répétition de certains gestes à des cadences rapides est un élément déterminant, bien sûr, mais qui n’explique pas tout. Ajoutez une posture pénible, un poste mal adapté (ceci pour les “conditions de travail”), dans le cadre d’un contrat précaire, avec un temps partiel subi ou des horaires décalés (cette fois, il s’agit des “conditions d’emploi”), qui, en plus, s’articulent mal à une vie personnelle dense et parfois compliquée, et le cocktail devient explosif. Le travail fait mal. Très mal… D’autant plus quand ces conditions durent. En effet, moins les salarié·e·s ont de perspectives d’évolution professionnelle, plus le risque de TMS augmente. Or, dans les métiers dits “féminins”, les progressions de carrière sont plus rares et, dans les autres, le plafond de verre subsiste.
Les troubles musculo-squelettiques se manifestent en différé. Comme l’indique Sophie Le Corre, sociologue et chargée de mission à l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) Auvergne-Rhône-Alpes, il faut être attentif·ve aux “signaux faibles”. L’absentéisme ? Alerte jaune. Des restrictions d’aptitude délivrées par la médecine du travail ? Orange. Quand la reconnaissance pour maladie professionnelle survient, il est trop tard : on est dans le rouge depuis longtemps.