Reportage : Allez les filles ! [France]

De plus en plus, les footballeuses occupent – littéralement – le terrain, malgré les réticences, le manque de moyens et les contraintes pouvant peser sur elles. Cet engagement sportif leur donne davantage d’assurance et change les relations filles-garçons. La preuve par l’exemple avec les jeunes joueuses de l’AS Duchère, un quartier populaire de Lyon, que nous avons suivies pendant six mois.
Textes de Sandrine Boucher
Photographies d’Anne Bouillot
Paru dans Femmes ici et ailleurs #20, juillet-août 2017

L’initiative n’a pas plu à tout le monde. Lors de la création de l’équipe féminine de foot de la Duchère, en 2011, le président du club de ce quartier populaire lyonnais a essuyé des tentatives d’intimidations et des menaces. Pour quelques-uns, que des filles puissent être vues en train de courir en short était inconcevable. “Ça s’est tassé depuis. Quand on parle de diversité dans les quartiers, on pense diversité de cultures, mais pas diversité de sexes. Je tenais à ce que les filles de la Duchère jouent à la Duchère. C’est un symbole d’autant plus important que, justement, certains ne voulaient pas en entendre parler”, affirme Mohammed Tria, président depuis dix ans de l’AS Duchère, dont une équipe de seniors masculins évolue en Nationale.

Il sollicite Inès Dahmani, alors coach dans le club d’une commune voisine et animatrice au sein du quartier pour l’association Sport dans la ville. “Les filles voulaient progresser, s’entrainer davantage, faire de la compétition. Leur souhait a correspondu à celui du club d’ouvrir une section féminine. Lorsqu’il n’y avait pas d’équipe de filles, personne ne pensait que le foot pouvait les intéresser. Hier comme aujourd’hui, dès que des moyens sont mis, les envies se révèlent”, se souvient celle qui, depuis six ans, se dépense sans compter pour les féminines de la Duchère, qu’elle appelle “ses” filles.


Les débuts sont parfois rudes pour les sept pionnières. Une poignée de garçons se moquent d’elles. D’autres les encouragent. Elles tiennent tête et bon. “Il faut avoir de la personnalité pour être joueuse de foot dans un quartier populaire”, reconnaît Mohammed Tria. Les jeunes filles de cette première vague ont désormais plus de vingt ans, sont devenues seniors, doivent maintenant jongler entre compagnon, études supérieures, boulot et chaussures à crampons. Issue de ce groupe d’origine, Sophia Abdi seconde désormais Inès Dahmani, auprès des adolescentes qui forment l’actuelle équipe féminine des U18 (les moins de 18 ans). “Je ne voudrais être coach nulle part ailleurs. Les filles forment une bonne équipe, solidaire. Il n’y a pas de chicanes ou, lorsque c’est arrivé, ça n’a pas duré longtemps”, confie-t-elle au bord du terrain, en suivant avec attention les jeunes footballeuses taper dans le ballon.
Que ce soit sous un crachin glacé ou un soleil de plomb, ces sportives de quinze à dix-sept ans sont là, ponctuelles, les soirs, les week-ends, pour les entraînements ou les matches. Quand l’une manque à l’appel, c’est souvent parce qu’elle s’est vue confier la garde d’un petit frère ou d’une petite sœur. Rarement par défaut de motivation. “Autant il est difficile de la réveiller pour aller en classe, autant les samedis ou dimanches de matches, elle n’a pas besoin de sa mère pour sortir du lit”, plaisante Aïcha Dahmani, la grande sœur d’Inès et maman de Nawel.