Le jour où… 11 octobre 1972 : Le procès de Marie-Claire Chevalier, tournant de la lutte pour le droit à l’IVG
Tous les deux mois, nous vous invitons à (re)découvrir une date importante de l’histoire des femmes, ici ou ailleurs. Une histoire trop souvent oubliée.
Par Muriel Salle
Paru dans Femmes ici et ailleurs #51, septembre-octobre 2022

À tout juste 17 ans, Marie-Claire Chevalier est traduite devant le tribunal pour enfants de Bobigny. Son crime ? Avoir avorté après un viol subi l’année précédente. Son dénonciateur est son violeur, un “camarade” de lycée, qui a livré la jeune fille pour ne pas être poursuivi, suite à un vol de voiture.
Mineure, elle comparaît seule en ce 11 octobre 1972. Les quatre adultes qui l’ont aidée, toutes des femmes, seront entendues quelques semaines plus tard : Micheline Bambuck, l’avorteuse, mais aussi sa mère, Michèle Chevalier et deux de ses collègues de la RATP, poursuivies pour complicité parce qu’elles lui ont donné l’adresse de la “faiseuse d’anges”.
Moyennant 1 200 francs “seulement”, cette dernière a pratiqué l’opération clandestinement, aux risques et périls de la patiente : en guise de sonde, elle a introduit une gaine électrique dans le vagin de Marie-Claire Chevalier, qui a fini aux urgences. Il n’existe alors pas de solution plus sûre. Les médecins qui opèrent clandestinement le font à prix d’or : il en coûte 4 500 francs, quand la mère de l’adolescente n’en gagne que 1 500 par mois.
À la demande de Michèle Chevalier, Maître Gisèle Halimi défend les cinq femmes. L’avocate de renom et militante du droit à l’avortement transforme, avec l’accord de ses clientes, une affaire tristement ordinaire en procès politique : elle attaque la loi de 1920 qui criminalise l’avortement et tout discours incitant les femmes à mettre fin à leur grossesse. Dans sa plaidoirie, restée célèbre et prononcée pour la défense des quatre adultes le 8 novembre 1972, Gisèle Halimi évoquera “une loi d’un autre âge, (…) la pierre de touche de l’oppression qui frappe les femmes”.

Minorité de l’accusée oblige, pour Marie-Claire Chevalier, l’audience se tient à huis clos. Mais devant le tribunal, les militant·es féministes hurlent leur colère : “L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres !” L’adolescente est relaxée le jour même. Elle aurait subi des “contraintes d’ordres moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pas pu résister”.
Ce verdict ne calme pas les militant·es, vent debout contre la loi de 1920 et les injustices sociales qu’elle crée : “Je n’ai encore jamais plaidé pour la femme d’un haut commis de l’État, ou pour la femme d’un médecin célèbre, d’un grand avocat, d’un PDG de société, ou pour la maîtresse de ces mêmes messieurs ”, relèvera Gisèle Halimi, face aux juges, quelques jours plus tard. Les femmes poursuivies pour avortement sont modestes : ménagères, employées, ouvrières, étudiantes… “Vous condamnez toujours les mêmes, les “Madame Chevalier” ” plaide-t-elle.
Le procès de Bobigny marque un tournant décisif dans la lutte pour le droit à l’IVG. Les débats autour de l’affaire sont très médiatisés et l’opinion bascule alors en faveur de l’avortement. La voie est ouverte à la loi Veil qui sera votée deux ans plus tard, en novembre 1974.
Héroïne bien malgré elle, Marie-Claire Chevalier, durablement éprouvée, retournera ensuite à l’anonymat. Aide-soignante, elle mènera une existence discrète. Pour les 30 ans de la loi Veil, une passerelle à son nom sera inaugurée à Bobigny. Pour l’occasion, elle prendra exceptionnellement la parole, déclarant : “Maintenant, j’ai quarante-neuf ans, je vais bien, je vais mieux. La passerelle, c’est la plus belle chose de ma vie après ma fille.”
Marie-Claire Chevalier est décédée le 23 janvier 2022. ●